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le ton. Il s’agirait d’un saint, que la dévotion, inspirée par une telle idée et parlant ce langage, passerait pour niaise ; mais on s’étonne, puisqu’il s’agit de Molière, que le souvenir de Thomas Diafoirus et de ses « qualités pour le mariage et la propagation » n’ait pas arrêté la plume qui se complaisait en ces phrases étranges. Et pourtant, si l’exposition prolongée d’une idole excite l’impatience, c’est un bien vif plaisir que de ressaisir l’habitude extérieure et l’être moral d’un homme de génie. Rien n’empêche de se donner ce plaisir avec Molière. On se plaint volontiers de la pénurie des renseignemens à son sujet, mais, en remontant aux sources, on s’aperçoit vile que les contemporains du poète peuvent amplement satisfaire notre curiosité. Amis ou ennemis, panégyristes ou pamphlétaires il n’y a qu’à les contrôler les uns par les autres, et ils nous laissent voir Molière tel qu’il apparaissait aux spectateurs de son théâtre et aux témoins de sa vie privée. D’autre part, le poète a si souvent parlé de lui-même, directement ou par allusion, volontairement ou d’une manière inconsciente, qu’il suffirait à la rigueur de rapprocher certains passages de ses œuvres pour le bien connaître au point de vue qui nous occupe. Je voudrais donc tenter ce contrôle et ce rapprochement comme conclusion des études biographiques sur Molière que l’on a pu lire ici[1].


I

Et, d’abord, Molière était-il grand ou petit, gras ou maigre, brun ou blond, beau ou laid ? Au premier abord, la réponse à cette question semble facile. Il y a un type de Molière que tout le monde connaît, car il a été répandu à profusion par tous les procédés possibles de reproduction artistique : taille assez haute, élégante et libre, grands yeux noirs, grand nez aux larges narines, grande bouche aux lèvres charnues, teint brun, poil châtain foncé, avec la petite moustache et l’ample perruque caractéristiques du siècle ; et, malgré cette exagération de tous les traits, rien de déplaisant ni de vulgaire, une expression générale de force, de génie et de bonté. C’est dans le dernier quart du XVIIIe siècle que ce type fut fixé d’une façon définitive par Houdon, dans le buste qui décore aujourd’hui le foyer public de la Comédie-Française. Depuis lors, nos peintres et nos sculpteurs n’ont guère fait que le reproduire avec de légères variantes : on Io retrouve dans le Molière placé par Ingres dans son Apothéose d’Homère, dans la statue sculptée par Sudre pour la fontaine de la rue de Richelieu, dans le Molière mourant de M. Ailouard,

  1. Voyez la Revue des 1er mai, 15 juin et 1er octobre 1885, 15 mai et 1er septembre 1886.