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dans plus d’une occasion difficile et critique, les services les plus signalés. M. Merilhou fut mon successeur ; c’était un avocat libéral, factotum à la chancellerie, d’un esprit court, étroit et dépourvu de lumières comme d’instinct politique.

Ces choix furent insérés au Moniteur le 2 novembre, mais le ministère ne fut définitivement constitué et installé que le 17 : M. Laffitte, ministre des finances ; M. Dupont, garde des sceaux ; le général Sébastiani, ministre des affaires étrangères ; le maréchal Soult, en place du maréchal Gérard, à la guerre ; M. d’Argout, à la marine, en place du général Sébastiani ; M. de Montalivet à l’intérieur ; M. Merilhou, à l’instruction publique et aux cultes.

En me séparant du roi, le 22 au matin, j’eus à subir, de sa part, des reproches assez vifs. J’étais la cause de la dislocation du ministère. J’avais rendu inutile, voire impossible, toute tentative d’y porter remède. Le roi avait raison, mais je n’avais pas tort. C’est ce dont il convînt lui-même. « Il vous faut nécessairement, lui dis-je, en passer plus tôt ou plus tard, mais pour un temps plus ou moins court, par le parti du mouvement. Le plus tôt est le mieux, car vous avez encore par vous-même un fonds de popularité de bon aloi pour résister à la fausse popularité du moment, et une majorité saine dans la chambre des députés, qui contiendra le mauvais parti. Si vous le laissez arriver peu à peu à la sourdine, sous l’apparence d’une approbation officielle, vous lui préparez un long avenir ; endormant la résistance, vous ne pourrez lui faire appel qu’après de longues souffrances et quelques désastres ; si vous compromettez vos bons serviteurs en fausse voie, ils perdront tout crédit auprès des gens sensés, et, le moment venu, n’inspireront à personne ni courage ni confiance. Dans l’état présent, je ne donne pas deux mois à M. Laffitte et à M. Dupont (de l’Eure) pour gouverner comme ils l’entendent et pour donner eux-mêmes leur langue aux chiens. Le roi aura alors sous la main des hommes qui auront soutenu leur drapeau, et derrière lesquels les gens de bon sens se rallieront avec zèle. Si vous leur demandez de mettre leur drapeau dans leur poche et de faire chorus avec les braillards, qui vous viendra en aide au moment du danger ? à quoi vous seront-ils bons ? »

Le premier moment d’humeur passé, au fond le roi était de mon avis, nous nous quittâmes bons amis. Je quittai moi-même, le même jour, l’hôtel de la rue de Grenelle.


BROGLIE.