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ministère lui-même. M. Laffitte, M. Dupont (de l’Eure) et M. Bignon inclinaient au mouvement, c’est-à-dire à l’exclusion de plus en plus exercée contre les serviteurs du régime déchu, à l’extension de plus en plus prononcée en fait de réformes politiques et sociales ; les autres ministres tenaient ferme à la résistance, c’est-à-dire à l’impartialité et aux ménagemens envers les personnes, et à la défense, pied à pied, de ce qui nous restait de principes d’ordre et de garanties.

La discussion étant, dans les circonstances où nous nous trouvions, ce que les Anglais nomment ominous, c’est-à-dire grosse de conséquences immédiates ou prochaines, et personne n’étant encore bien décidé à rompre avec personne, naturellement l’attaque, dirigée en apparence contre le ministère tout entier, ne devait guère porter que sur la partie résistante ; c’était celle-là qui devait principalement être appelée à défendre la conduite commune et devait, pour bien faire, en charger les moins compromis de ses membres qui conservaient encore tant soit peu de popularité. C’est effectivement ce qui arriva. Développée par son auteur, la proposition de M. Mauguin ne fut guère autre chose qu’un acte d’accusation en règle, sauf quelques complimens à l’adresse de M. Dupont (de l’Eure) ; et, de plus, tout un programme de gouvernement tout aussi pratique que le gouvernement de Salente, qui fait les délices de l’enfance lorsqu’elle apprend à lire dans le Télémaque. Ce dont M. Dupont était surtout félicité, c’était d’avoir préparé la guerre civile entre les nouveaux parquets et la magistrature assise, composée des juges de Charles X ; ce dont les autres ministres et surtout le ministre des finances étaient coupables, c’était de n’avoir pas fait maison nette de tous les commis, de tous les comptables en état de dresser un procès-verbal et de tenir des écritures en partie double et, en outre, de n’avoir pas changé d’un trait de plume et d’un coup de baguette toute la face du pays.

Ainsi présenté, l’acte d’accusation ne fit pas fortune. Il fut souvent interrompu par des éclats de rire. A peine soutenu par M. Salverte et par Benjamin Constant, qui n’y vit qu’une occasion de ferrailler contre le gouvernement dont il faisait partie, livré aux sarcasmes et aux boutades de mattre Dupin, il fut en définitive assez gauchement retiré par son auteur. Mais l’événement de la séance, ce fut le discours de M. Casimir Perier qui la termina. Prenant, à son tour, occasion du plan de conduite mi-partie utopique et révolutionnaire qu’avait tracé M. Mauguin, M. Perier, après l’avoir flagellé de très haut et traité avec un juste mépris, traça lui-même, également de très haut, le plan qu’il convenait de suivre. Il le fit à grands traits, avec un mélange d’élévation dans les idées et