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d’armer le dénonciateur public des pouvoirs qui ne doivent appartenir qu’à la justice.

La commission concluait à la mise en jugement, sous le chef de haute trahison, des ministres signataires des ordonnances. Quatre d’entre eux, MM. de Polignac, Peyronnet, Chantelauze, Guernon-Ranville se trouvaient en état d’arrestation et déposés à Vincennes ; les trois autres, MM. de Montbel, d’Haussez, Capelle, étaient hors de France.

La discussion fut ajournée au 20 septembre. Cette perspective nous tombait mal à propos : un orage sourd grondait dans nos rangs ; il faisait plus que gronder, il éclatait au dehors à l’occasion des sociétés populaires, dont nous commencions à être infestés. Déjà la société des Amis du peuple, qui, tous les soirs, se réunissait au manège Pellier, avait pris une délibération tendant à inviter les ouvriers et la garde nationale à chasser les députés du Palais-Bourbon et les pairs du Luxembourg. Cités en police correctionnelle comme chefs d’une association non légalement autorisée, M. Hubert, son président, et M, Thierry, secrétaire dudit président, refusaient d’y comparaître, sous prétexte que l’article 294 du code pénal était implicitement abrogé.

Cette prétention était soutenue timidement dans l’intérieur du cabinet par M. Laffitte et M. Dupont, timidement à la chambre des députés par les plus honnêtes du côté gauche. M. Guizot, provoqué sur ce terrain, en fit justice aux grands applaudissemens du côté droit, et le quartier marchand où le nouveau club tenait ses assises fit plus encore, si ce n’est mieux ; les gros bonnets des boutiquiers et de la garde nationale mirent la main sur le manège et mirent l’auditoire à la porte. La justice ne vint qu’après coup et condamna les récalcitrans à trois mois de prison et 300 francs d’amende.

Mais l’affaire n’en demeura pas là ! Benjamin Constant, membre du gouvernement, puisqu’il siégeait au conseil d’état en qualité de président de section, sans s’expliquer sur la légalité de l’article 294, prit fait et cause en faveur des assemblées populaires et soutint que leur langage séditieux était justifié et au-delà par la faiblesse du ministère et ses ménagemens imprudens envers le parti vaincu.

Encouragé par ce bon exemple, plus libre d’allure et de position, M. Mauguin se hâta de demander en des termes qui l’auraient fait rappeler à l’ordre par tout autre président que M. Laffitte, qu’une enquête fût instituée sur l’état du pays et la conduite du ministère, proposition qui ne fut point écartée par l’ordre du jour, mais renvoyée au 20 septembre. C’était, pour nous, un premier échec et