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voisins, tous ayant intérêt indirect mais légitime au maintien de la liberté de chaque personne et de la sécurité de chaque domicile. De même entre les états, chacun chez soi, chacun pour soi ; tous, au besoin, pour ou contre chacun, selon l’occasion.

Ce fut ce principe que nous résolûmes d’invoquer pour parer à l’éventualité du moment. Tant que l’œuvre du congrès de Vienne était debout, nous étions tenus de la respecter ; tant que le roi des Pays-Bas était maître chez lui et mettait ses sujets belges à la raison, nous étions tenus de le laisser faire. Mais si l’œuvre du congrès de Vienne venait à tomber sur elle-même, — si la séparation entre la Hollande et la Belgique venait à s’opérer par force intrinsèque, — et si le roi des Pays-Bas appelait un tiers à son aide pour reformer l’union, — rien, selon nous, n’interdisait à la Belgique d’en faire autant en sens inverse ; coup pour coup, intervention pour intervention, rien ne nous obligeait à rester les bras croisés en laissant se rétablir sous nos yeux, par des tiers, un ordre de- choses qui menaçait notre indépendance et notre sécurité.

Je ne dis pas que l’argumentation fût irréprochable, ni que la parité entre les cas allégués fût rigoureuse. Je ne dis pas que les signataires de l’acte de Vienne n’eussent rien à voir à la destruction de leur œuvre. Mais encore, pour cela, fallait-il qu’ils se missent d’accord au préalable et qu’ils agissent de concert. Or, cela nous donnait du temps, et le temps était tout pour nous.

Nous fîmes savoir au gouvernement anglais qu’au cas où l’incorporation de la Belgique à la France nous serait offerte par nos anciens compatriotes, l’offre ne serait point acceptée ; que le tracé de nos frontières ne serait point dépassé ; et que l’établissement d’un nouveau royaume de Belgique resterait, de notre aveu et plein consentement, une question tout européenne. De ce côté, cela suffit. A Vienne, M. de Metternich, qui d’ailleurs n’entendait pas raillerie sur le principe de non-intervention, comprit, avec son bon sens expérimental, qu’il ne fallait rien pousser à l’extrême, et que c’était ici le cas du summum jus, summa injuria. Restait la Prusse, restait l’héritier, l’héritier tel quel du grand Frédéric : il était beau-frère du roi des Pays-Bas, son allié donc à double titre, et d’ailleurs géographiquement à portée du champ de bataille ; il répondit à l’appel, prit en main la cause commune, et se hâta de rassembler une armée pour lui prêter main-forte.

À cette nouvelle, notre conseil, à l’unanimité, décida qu’il en fallait avoir le cœur net. Au nom du roi, M. Mole, notre ministre des affaires étrangères, alla trouver M. de Werther, ministre de Prusse sous Charles X, et restant à Paris jusqu’à nouvel ordre de sa cour ; il lui signifia, en termes catégoriques, que toute armée