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et de bien autre portée. Le 25 août, à quinze jours de notre propre avènement, éclata dans Bruxelles une révolution qui devait bientôt changer l’existence du royaume des Pays-Bas et mettre en péril l’état de l’Europe.

Ce royaume, œuvre de circonstance, de méfiance et de rancune, hydre à deux têtes, préposée par le congrès de Vienne à la garde d’une ceinture de places fortes élevées à nos dépens et de nos dépouilles, — produit hybride d’un accouplement contre nature entre 2 millions de Hollandais protestans et 4 millions de Belges catholiques, — plus divisés encore d’instincts et de mœurs que de croyance et de langage, — ce royaume avait été dès l’origine en travail de dissolution, et l’incompatibilité d’humeur touchait à son paroxysme, lorsque vint à sonner chez nous le tocsin de Juillet. Le moyen qu’une majorité numérique de plus du double, traitée en vraie servante, dominée et tracassée par une minorité maîtresse du roi, de la cour, des emplois, des impôts et de la force armée, ne répondit point à cet appel ! Une soirée, un air d’opéra fort en vogue alors et le chant en pleine rue de la Parisienne à grands carillons, en firent l’affaire d’un tour de main, mais non toutefois sans conflit et sans quelque effusion de sang.

Je m’en tiendrai là sur le fait lui-même, sur sa cause et son origine. Je ne m’arrêterai point à rappeler les divers incidens de cette lutte entre le roi des Pays-Bas et ses pauvres nouveaux sujets ; à caractériser le mélange de supercherie et de violence qui les soumit, pendant quinze ans, aux conditions d’un pacte numériquement rejeté, moralement oppressif, à relever, pierre à pierre, les querelles incessantes en religion, en politique, en finances, en économie sociale, qui ne pouvaient guère manquer de naître et de renaître à chaque instant d’une union ou plutôt d’un amalgame formé sous de si fâcheux auspices. Je ne m’arrêterai pas davantage à raconter la révolution de Bruxelles, calquée autant que possible sur la nôtre : attroupemens spontanés ; impuissant emploi de la force armée, barricades coup sur coup, puis des négociations tout au plus sincères, puis des concessions tardives, puis enfin le soulèvement gagnant comme une traînée de poudre, de proche en proche, de rue en rue, de ville en ville. Je ne m’arrêterai qu’aux conséquences immédiates de l’événement, et au surcroît de difficultés qu’il faisait pleuvoir sur nous dans un moment où, Dieu merci, nous en avions de reste.

Notre nouveau gouvernement n’était encore officiellement reconnu que par l’Angleterre ; bien accueilli à Vienne et à Berlin, bien vu dès lors dans la plupart des cours et principautés du continent, le pas décisif restait à faire, tout restait encore en suspens ;