Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 77.djvu/777

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des gens de l’art et de la justice, qu’à considérer la mort du duc de Bourbon comme un suicide, le tout afin d’imputer gratuitement et de gaîté de cœur un assassinat au roi Louis-Philippe, le plus proche parent de cet infortuné, son ami, le seul de la famille qui se fût empressé de le reconnaître et de se déclarer son sujet ? Certes, s’il y avait homme en France pour qui la vie du duc de Bourbon dût être précieuse, pour qui la mort du duc de Bourbon fût un coup sensible, dans la crise où nous nous trouvions, c’était notre roi d’hier. Combien n’aurait-il pas été plus facile, si l’ombre même du doute eût été possible, de rétorquer l’accusation et d’imputer l’assassinat prétendu à la vengeance de quelques légitimistes furieux et au désespoir ? Mais que répondre dans l’une ou l’autre hypothèse à ce papier écrit de la propre main du duc et trouvé dans sa propre cheminée, parmi d’autres papiers qu’il y avait jetés pêle-mêle, la veille de sa mort : c’était une proclamation adressée aux habitans de Saint-Leu et conçue en ces termes :

« Saint-Leu et ses dépendances appartiennent à votre roi Louis-Philippe ; ne pillez ni ne brûlez le château, ni le village ; ne faites de mal à personne, ni à mes amis, ni à mes gens. On vous a égarés sur mon compte. Je n’ai qu’à mourir en souhaitant bonheur et prospérité au peuple français et à ma patrie.

« P.-J. HENRI DE BOURBON, PRINCE DE CONDE.

« P.-S. Je demande à être enterré à Vincennes, près de mon malheureux fils. »


A coup sûr, un tel écrit ne dénote que trop à quelle agitation était en proie l’esprit du pauvre prince, affaibli par l’âge et la maladie, troublé par un scrupule qui tenait presque du remords.

Malgré la rigueur des lois religieuses contre le suicide, les funérailles du duc de Bourbon eurent lieu comme en toute autre circonstance. Le cœur fut déposé dans la chapelle de Chantilly. Le corps, embaumé et exposé pendant plusieurs jours, fut reçu à l’église de Saint-Leu et transporté à Saint-Denis, avec un cortège militaire où figuraient les voitures de la cour ; on y voyait les quatre premiers fils du roi. Le cercueil fut reçu à la porte de l’abbaye parle clergé épiscopal ; la basilique fut tendue de noir comme dans les solennités royales ; après l’office célébré avec le même cérémonial, mais sans oraison funèbre, le corps fut descendu dans le caveau royal, à côté du dernier prince de Condé !

L’autre événement, l’autre catastrophe, fut de bien autre nature