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le bruit des voix allemandes. Si l’Alsace-Lorraine était si bien conquise, si elle était devenue aussi complètement allemande que les anciennes provinces, comme s’est plu à le dire l’empereur, pourquoi maintiendrait-on le régime dictatorial ? Pourquoi refuserait-on aux Alsaciens-Lorrains les franchises qu’ont les autres provinces ?

Chose à remarquer, M. de Bismarck n’a pas paru auprès de l’empereur Guillaume à Strasbourg ; pas plus, du reste, qu’il n’a paru au Reichstag, qu’il réunissait au même instant d’une manière un peu extraordinaire, pour avoir son adhésion à la prolongation d’un traité de commerce avec l’Espagne. Un instant, on a cru que le traité de commerce n’était qu’un prétexte, que le chancelier voulait tout simplement avoir une occasion de faire entendre sa voix sur la politique extérieure à propos des événemens de la Bulgarie. Il n’en a rien été. M. de Bismarck a laissé l’empereur Guillaume à Strasbourg, le Reichstag à Berlin, et, à la veille même de la réunion de son parlement, il est parti pour sa retraite de Varzin, d’où il ne sortira sans doute qu’à la session prochaine pour demander les impôts dont il a toujours besoin, et le renouvellement du septennat militaire. Ce ne sera peut-être pas facile à obtenir : le chancelier a vraisemblablement son thème déjà tout fait ; il sera d’autant plus porté à faire vibrer la corde du patriotisme allemand, à évoquer une fois de plus le fantôme de la revanche française, qu’il se sera mieux assuré l’appui reconnaissant de la Russie ; et notre nouvel ambassadeur à Berlin, M. Jules Herbette, aura de quoi exercer les talens qu’on ne lui connaissait pas encore pour un poste si éminent.

Au moment où l’attention était encore tournée du côté où se préparent les événemens européens, l’Espagne, qui a toujours le privilège des surprises, vient d’avoir l’émotion malheureusement peu nouvelle d’une sédition militaire de plus. L’autre soir, avant de s’endormir, Madrid a pu apprendre que l’ère des pronunciamientos n’était pas finie. Le mouvement a éclaté non loin du palais, dans la caserne de San Gil, qui fut, il y a vingt ans, le foyer d’une des plus formidables insurrections. Quelques centaines de soldats du régiment de cavalerie d’Albuera, du régiment d’infanterie de Garellano, se sont révoltés et ont parcouru la ville, effrayant la population, essayant de s’emparer de quelques postes. Le coup n’était pas monté. La cour et les principaux ministres étaient à La Granja. Le gouverneur de Madrid, le général Pavia, était lui-même ce soir-là au théâtre, n’ayant aucun soupçon. Au premier avis cependant, toutes les mesures ont été rapidement et habilement prises, et il n’a pas tardé à se mettre à la tête des troupes fidèles. Sur-le-champ les insurgés ont été attaqués ; refoulés de toutes parts, ils se sont jetés dans la campagne, où ils ont été poursuivis et dispersés. Un des chefs du mouvement, un certain général Villacampa, a été pris. La répression a été prompte ; la lutte a malheureusement