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reprendre position dans les Balkans ; et un discours récent du comte Appony, en Hongrie, une interpellation qui s’est produite au parlement de Pesth, prouvent qu’une partie de l’empire voit avec défiance tout ce qui favorise les progrès de la puissance russe et même l’alliance austro-allemande. Bref, tous les intérêts sont en présence dans cette affaire, qui est loin d’être finie, et au milieu de toutes ces complications, c’est encore M. de Bismarck qui tient dans ses mains tous les fils de cet étrange imbroglio. M. de Bismarck a eu sans doute, lui aussi, ses raisons. Évidemment il a voulu lier la Russie en lui donnant une grande satisfaction, au risque d’inquiéter l’Autriche en l’entraînant dans une politique si peu conforme à ses intérêts ; aujourd’hui c’est l’Autriche elle-même qu’il semble vouloir rassurer en cherchant à retenir le cabinet de Pétersbourg, à obtenir de la Russie qu’elle limite ses prétentions, qu’elle se montre modérée dans sa victoire. Sa diplomatie se joue dans ces combinaisons, où il allie la dextérité à l’audace. Tout cela cependant ne fait pas que la situation ne soit ce qu’elle est et que le résultat de tous ces artifices ne puisse être de rouvrir la question d’Orient avec toutes ses complications et ses menaçantes perspectives.

Tandis que ce joueur puissant de la politique, M. de Bismarck, manie les alliances et les intérêts du monde dans ses voyages ou dans ses terres, le Reichstag s’est réuni récemment à Berlin, en même temps que l’empereur Guillaume faisait avec apparat un voyage dans l’Alsace-Lorraine à l’occasion des manœuvres du 15e corps allemand, campé dans les pays annexés. Le vieux souverain, surmontant les fatigues de l’âge, est allé dans ces contrées, à Strasbourg, où il a passé quelques jours, entouré de l’impératrice, du prince impérial, du roi de Saxe, du grand-duc de Bade, du grand-duc de Hesse, de princes de toute sorte et de personnages officiels. Il a passé des revues, il a paru dans les cérémonies et dans les banquets, il a prodigué allocutions et complimens. À entendre les historiographes allemands du voyage, la réception que Strasbourg a faite au vieil empereur aurait été des plus chaleureuses, presque enthousiaste, et l’empereur lui-même a plusieurs fois témoigné son plaisir de l’accueil qu’il rencontrait. La réalité ne répond peut-être pas autant qu’on le dit aux apparences. Les vrais Alsaciens, gens paisibles qui paient honnêtement leurs impôts et obéissent aux lois, ont réservé leur enthousiasme ; et au banquet de gala offert par l’empereur, les députés au Reichstag ont brillé par leur absence. Il faut bien se souvenir, d’ailleurs, qu’à Strasbourg il y a trente mille immigrés allemands, qu’on ne s’abstient pas sans péril de se conformer aux ordres de la police qui règle les réjouissances publiques, que la presse n’est pas libre, qu’une simple société musicale qui jouerait un air français s’exposerait à être supprimée, et, dans ces conditions, il n’est peut-être pas étonnant que la véritable opinion se perde dans