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chose que l’honneur national exige impérieusement, c’est qu’on reste fidèle aux engagemens qu’on a contractés ; c’est pour cela qu’il ne faut pas les prendre à la légère. Nous ne pouvons pas abandonner nos anciennes possessions. Elles nous sont unies par un passé qui fut glorieux et prospère, par des dangers courus en commun ; ce sont là des liens qu’on ne brise pas. La mère patrie se doit surtout à ses enfans malheureux. Il ne nous est pas permis davantage de nous retirer des pays dans lesquels nous nous sommes récemment implantés, parce que nous nous y avons contracté des engagemens et signé des traités qui nous enchaînent. Nous ne pouvons pas, sans manquer à la parole de la France, abandonner des populations qui ont eu confiance en elle à la vengeance de leurs ennemis. Nous n’avons pas de ces choses-là dans notre histoire. On y trouve bien des légèretés, bien des erreurs, parfois même des fautes, mais on n’y voit ni trahisons ni infamies : ne commençons pas, et à défaut d’une situation plus prospère léguons au moins à nos enfans un passé dont ils n’aient pas à rougir. C’est encore le plus bel héritage qu’un père puisse laisser à ses fils, une génération à celle qui lui succède.

Pour conduire nos affaires coloniales avec cette prudence et cette habileté, il faudrait d’abord les bien connaître. Elles sont délicates, compliquées ; elles exigent une étude approfondie de toutes les questions économiques et commerciales, jointe à l’expérience personnelle de la vie des colonies ; à la notion parfaite du passé et des intérêts de chacune d’elles. Les administrateurs qui réunissent ces conditions sont rares. On en trouvait pourtant autrefois, lorsqu’on savait les choisir en dehors de la politique et qu’on les maintenait à leur poste pendant une longue suite d’années. Aujourd’hui, on place à la tête de cet important service des hommes d’état éminens sans doute, mais absolument étrangers aux intérêts dont ils prennent la charge. Ils n’ont pas le loisir de se familiariser avec eux, parce qu’ils ne font que passer à la direction des colonies. « On s’y arrête si peu, me disait récemment l’un d’eux, qu’on n’a pas le temps de recevoir de réponse aux lettres qu’on a écrites en arrivant. » Un pareil état de choses explique la façon dont nos intérêts coloniaux sont gérés ; mais, s’il se prolongeait, il ne tarderait pas à les compromettre d’une manière définitive. Il n’est que temps de revenir aux erremens du passé, de remettre la direction de nos affaires d’outre-mer à ceux qui en ont fait une étude sérieuse et de les y laisser à poste fixe, en les plaçant en dehors du courant de la politique, à l’abri de ses secousses et de ses fluctuations.


JULES ROCHARD.