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on ne récolte que des haines, on ne laisse derrière soi que des défiances, et des difficultés pour l’avenir. Ce qui importe aujourd’hui, c’est de se présenter aux populations avec des intentions et des allures pacifiques, de leur inspirer de la confiance d’abord, de la sympathie ensuite. On ne doit recourir à la force qu’en présence d’une trahison, ou d’un refus de tenir ses engagemens ; mais il faut alors le faire avec vigueur. Cette ligne de conduite serait facile à suivre pour les Français, grâce à l’aménité de leur caractère national et elle produirait de meilleurs résultats que ceux que nous avons obtenus jusqu’ici. Je vais essayer de le prouver en jetant un coup d’œil sur l’état actuel de nos colonies.


II

De toutes les puissances de l’Europe, la France est, après l’Angleterre, celle qui possède le plus beau domaine colonial. Il a passé, comme le pays lui-même, par des alternatives de splendeur et de décadence ; mais, depuis un demi-siècle, il s’est considérablement accru. Chaque génération doit compte à celle qui la suit de l’héritage qu’elle va lui transmettre ; la nôtre n’a rien à redouter du jugement de ses descendans en ce qui concerne les possessions d’outre-mer. Elle a trouvé dans son berceau les traités de 1815 : ils ne nous avaient laissé que d’insignifians débris de notre grand empire colonial. En Amérique, où nous avions jadis possédé le Canada, la Nouvelle-Ecosse, la Louisiane, Saint-Domingue et la plupart des petites Antilles, il ne nous restait plus que Saint-Pierre et Miquelon, la Martinique, la Guadeloupe et ses dépendances, la Guyane avec ses marécages et ses forêts. Dans l’Inde, où presque tout l’Hindoustan nous appartenait au temps de Dupleix, nous conservions Pondichéry et son territoire grand comme le Champ de Mars, Chandernagor, où les navires ne peuvent remonter qu’en passant sous les canons du fort William ; les postes insignifians de Karikal/ de Mahé et d’Yanaon. Dans les mers où notre pavillon avait si longtemps flotté en maître, nous n’avions plus que l’Ile de Bourbon, qui n’avait pas un port pour abriter les navires et l’îlot de Sainte-Marie à la côte de Madagascar. Sur le littoral africain, il nous restait le Sénégal, c’est-à-dire Saint-Louis, les postes du fleuve et la petite île de Gorée.

Voilà ce que la pitié de nos ennemis nous avait laissé. En moins d’un demi-siècle, nous y avons ajouté l’Algérie, la régence de Tunis, sur laquelle nous avons étendu notre protectorat ; la Nouvelle-Calédonie, Taïti et les îles Marquises ; la Cochinchine avec le Tonkin auquel le Cambodge et le reste de l’Annam viendront sans effort s’adjoindre un jour, si nous savons nous y conduire avec sagesse.