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choisi pour les exploiter les contrées riantes, fécondes et riches, situées sur la zone torride ; ils n’ont pas pu s’y maintenir, parce que le climat ne convenait pas à leur race ; les Anglais, mieux inspirés ou mieux servis par le hasard, sont tombés sur des régions moins séduisantes, en apparence, mais beaucoup plus en rapport avec leur tempérament et leur constitution ; ils y ont fondé de puissantes colonies, dans lesquelles ils se trouvent aussi à l’aise que chez eux.

C’est donc tout simplement une affaire de climat et de race, et nous allons voir que, dans nos entreprises coloniales, nous nous sommes trouvés aux prises avec les mêmes influences et qu’elles ont produit le même résultat.

Les Français se sont lancés les premiers dans la voie des découvertes. Dès le XIVe siècle, sous le règne de Charles V, des marins dieppois commerçaient aux Canaries, sur les bords de la Gambie et descendaient jusqu’à la côte d’Or. C’est en 1535 que Jacques Cartier prit possession des deux rives du Saint-Laurent au nom de François Ier et fit du Canada une terre française.

Depuis lors, notre domaine colonial est allé toujours croissant jusqu’à l’heure de nos désastres, et, pendant deux siècles, nous avons lutté avec l’Angleterre à armes égales. Toutefois, si vastes qu’aient été nos possessions, nous n’avons jamais été bien solidement installés qu’au Canada et aux Antilles. Notre établissement du Canada a été lent à se former. Ce rude pays, avec ses forêts immenses, ses lacs, ses fleuves glacés, n’avait pas, pour nos ancêtres, la même force d’attraction que le ravissant climat des Antilles. Le commerce des pelleteries ne donnait pas d’aussi beaux revenus que les plantations de cannes à sucre. Cependant, en 1608, Champlain fonda Québec et y attira quelques agriculteurs. Vingt ans après, une compagnie se forma sous le patronage de Richelieu, et la colonie commença à se peupler. Toutefois, elle n’avait encore que 3,418 colons en 1666 ; et, lorsque, un siècle après, en 1763, Louis XV céda le Canada aux Anglais, il ne comptait encore que 60,000 habitans. Aujourd’hui, il en renferme plus de 1,500,000, sans compter ceux qui ont passé le Saint-Laurent pour aller s’établir aux États-Unis et plus particulièrement dans la Nouvelle-Angleterre. Le nombre de ceux-là dépasse 500,000. Les Canadiens sont demeurés Français par les sentimens comme par les mœurs ; ils ont conservé la langue, le costume, la religion et même les lois de leur pays. Le culte de la mère patrie a résisté chez eux au temps, à la distance, à l’absence de relations et s’est accru par nos malheurs et nos revers.

Il n’est donc pas vrai de dire que notre race est inapte à la colonisation et qu’elle ne s’est jamais développée loin de la patrie. Lorsqu’elle a trouvé des conditions climatologiques qui lui convenaient,