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En Algérie, ce sont eux qui ont la plus forte mortalité et la natalité la plus faible. On se rappelle encore la triste fin de mille émigrés allemands transportés au Brésil par une société d’émigration et casés à Santa-Leopoldina, Monitza et Théodora. En 1874 il ne restait plus qu’une centaine de ces malheureux épuisés par les maladies et manquant de tout, qui attendaient à Bahia leur rapatriement. Ceux de leurs compatriotes qui ont fait partie, en mai 1874, du convoi de 15,000 agriculteurs que Bento-José da Corté avait obtenu l’autorisation de transporter à Alagoas, ont eu exactement le même sort. Ils n’ont trouvé au Brésil que la ruine et la mort. Il est à craindre que l’Allemagne n’éprouve des mécomptes semblables si elle cherche à coloniser dans l’Afrique centrale.

Pour nous, nous n’en sommes plus à compter les expériences désastreuses de ce genre. Il serait inutile d’en réveiller le lugubre souvenir, mais il est indispensable d’en tirer un enseignement dont les autres peuples doivent profiter comme nous : c’est qu’à notre époque, les nations de l’Europe doivent y regarder à deux fois avant d’aventurer dans de pareilles entreprises leurs capitaux et la vie de leurs enfans. Cette fièvre de colonisation qui s’empare d’elles à certaines époques et dont elles viennent d’avoir tout récemment un accès, ne trouve pas son explication dans des motifs d’intérêt bien entendu. Le sentiment qui les pousse est fait de préjugés, d’illusions et de souvenirs. C’est l’esprit de conquête transformé, avec ses passions et son aveuglement.

Dans les siècles qui ont précédé le nôtre, les nations, en élargissant leur domaine colonial, voyaient s’accroître leur prépondérance et leur prestige ; elles pesaient alors d’un poids plus lourd dans la balance des intérêts internationaux, et puis, il s’agissait pour elles d’ouvrir à leurs industries et à leur commerce des débouchés certains, en imposant leurs produits à des peuples asservis et soumis à leur domination. Cela ne s’accomplissait pas toujours sans violences et sans sacrifices ; mais enfin, une pareille ligne de conduite avait alors sa raison d’être. L’a-t-elle encore aujourd’hui ? C’est ce qu’il convient de rechercher.

Depuis un demi-siècle, les lois économiques et les intérêts qui règlent les rapports des nations entre elles se sont profondément modifiés. Pour comprendre cette évolution, il est indispensable de reprendre les choses d’un peu plus haut, et d’étudier ce mouvement colonial depuis la découverte de l’Amérique, qui leur a servi de point de départ.

Lorsque Christophe Colomb partit pour aller à la recherche du Nouveau-Monde que ses calculs lui avaient révélé, il fit route à l’ouest et les vents alizés conduisirent tout naturellement ses