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condition normale de leur existence, une nécessité de leur développement. La notion du climat ou du degré de salubrité des contrées vers lesquelles la navigation les emporte, intéresse donc au même titre les nations et les individus.

L’espèce humaine peut vivre sur tous les points du globe. On la rencontre, très inégalement répartie, il est vrai, depuis l’équateur jusqu’à une petite distance des pôles, et l’univers est son domaine ; mais "si l’homme, en tant qu’espèce, peut habiter partout, il ne s’ensuit pas qu’il puisse changer à son gré de latitude et de climat. La nature a mis quelques restrictions à l’exercice de ce droit, et les désastres que les tentatives de colonisation mal dirigées ont amenés à toutes les époques, montrent ce qu’il en coûte aux peuples pour méconnaître ses avertissemens.

Changer de climat, c’est naître à une vie nouvelle. Toutes les conditions hygiéniques sont changées à la fois, et la question se présente sous des aspects différens suivant qu’on l’envisage au point de vue de l’individu ou de la race. Il suffit à celui qui s’exile de pouvoir vivre dans sa nouvelle patrie ; mais, pour la race, il faut qu’elle s’y maintienne et s’y développe sans que de nouveaux contingens soient nécessaires pour remplir ses vides, sans qu’elle ait besoin de bras étrangers pour cultiver le sol qui doit la nourrir. Ces deux conditions sont difficiles à remplir. Elles dépendent avant tout de la latitude. L’émigration peut se faire dans le sens des parallèles terrestres sans rencontrer d’obstacles. L’acclimatement dans des zones comprises entre les mêmes lignes isothermes s’opère de lui-même, et il n’est soumis qu’à l’influence des localités. Il n’en est plus ainsi lorsque le déplacement s’opère en sens inverse. Toutefois, il est beaucoup plus facile quand le mouvement se fait vers les pôles que lorsqu’il se dirige vers l’équateur. Cette remarque, faite il y a deux mille ans par Vitruve, est tout aussi juste aujourd’hui. Tous les explorateurs des mers polaires ont reconnu que leurs équipages jouissaient d’une santé parfaite, tant qu’ils avaient les moyens de se réchauffer et de se nourrir. Les factoreries établies au Spitzberg par les Hollandais, au XVIIe siècle, ont permis de faire les mêmes observations, et chaque jour elles se vérifient à bord des baleiniers. Cette tolérance pour le froid le plus rigoureux est un privilège de la race caucasienne, et, chose étrange, les populations du midi la possèdent à un plus haut degré que celles du nord. La désastreuse campagne de Russie en a fourni un triste exemple. Toutes les nations de l’Europe étaient représentées dans cette armée sans égale, qui franchit le Niémen le 24 juin 1812 et qui se trouva bientôt aux prises avec un hiver si rigoureux, que les vieillards du pays ne se souvenaient pas d’en avoir vu de semblable. Cette expérience, faite sur