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serait faible et son droit de veto illusoire, ainsi qu’on le voit en Angleterre. C’est un point qui vient d’être clairement exposé par le marquis Alfieri, vice-président du sénat d’Italie, et par le comte de Rosebery, l’un des membres les plus éclairés de la chambre des lords. Réunir dans une assemblée les plus grands propriétaires d’un pays et leur donner pour mission expresse de s’opposer à la volonté populaire, c’est, dans l’époque où nous entrons, dresser la liste des proscriptions et des confiscations. La chambre haute devrait être largement ouverte à toutes les opinions et recevoir dans son sein les représentans les plus éminens de tous les partis, même les plus extrêmes. Le sénat français est peut-être aujourd’hui l’assemblée qui se rapproche le plus de cet idéal. Ce n’est évidemment pas au suffrage universel direct qu’il faudrait confier l’élection des sénateurs. On pourrait l’attribuer, en partie, à la chambre des députés, mais nécessairement avec le principe de la représentation proportionnelle, en partie aussi aux groupes et aux corps déjà constitués dans l’état : à l’université, aux académies, aux chambres de commerce, à l’armée, à la marine, au barreau, aux syndicats des différens métiers. Dans ses études sur les constitutions libres, Sismondi préconise ce système de représentation, qui était en vigueur dans les communes du moyen âge, et M. A. Prins a développé cette idée dans un livre des plus instructifs intitulé la Démocratie et le Régime parlementaire.

Aux États-Unis, le président ne peut conclure de traités que « de l’avis et du consentement du sénat. « Il s’ensuit que tout ce qui concerne la politique étrangère est presque exclusivement du ressort de la première chambre. Elle n’aborde cette matière délicate qu’avec une très grande prudence et elle ne discute les traités qu’à huis-clos. On évite ainsi les interpellations des députés et l’intervention, souvent intempestive ou même périlleuse de la presse et de l’opinion publique surexcitées, qui peuvent conduire aux résolutions les plus funestes.

Dans certains pays, la démocratie, résultant du développement naturel et historique, favorise la diffusion de l’instruction et du bien-Etre, ce qui est le but pour lequel l’état est institué. Seulement, aucun gouvernement, et la république pas plus qu’un autre, ne peut se passer de sagesse, de connaissances spéciales, de prévoyance et d’esprit de suite ; et, comme ce n’est pas d’ordinaire le suffrage universel qui fournit ces qualités essentielles, c’est à une autre source qu’il faut les demander.


EMILE DE LAVELEYE.