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électoral est mécontent, il sait qui il doit frapper. L’empereur de Russie est plus retenu par l’opinion que les comités de la chambre américaine ; car, devant le pays, l’autocrate est responsable de ses ukases, tandis que les comités ne le sont pas de leurs bills.

Dès 1755, John Adams proclamait ce grand principe, qui est le fondement de la constitution des États-Unis et des autres pays libres : « Tous les pouvoirs émanent de la nation. » En consacrant le nouveau cimetière de Gettysburg, où étaient enterrés tant de braves défenseurs de l’unité nationale, le président Lincoln disait : « cette nation, conçue dans la liberté, vouée à l’égalité, veut maintenir sur la terre le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple. » Nous avons tous cru Laboulaye sur parole quand il nous enseignait que la souveraineté du peuple est appliquée d’une façon plus complète aux États-Unis que partout ailleurs. Illusion pure : cela est vrai pour la commune, moins vrai déjà pour chaque état, et cela n’est plus vrai du tout pour le gouvernement fédéral. Les votes que les citoyens émettent, les représentans qu’ils choisissent, le président qu’ils nomment, toutes ces manifestations de la souveraineté populaire n’exercent presque aucune influence sur les lois qu’adopte le congrès.

Il existe aux États-Unis des partis compacts, admirablement disciplinés par le caucus, c’est-à-dire par l’organisation qui prépare les élections. Mais aucun candidat démocrate ou républicain ne peut annoncer ce qu’il fera à la chambre, car les chefs n’y trouvent pas d’armée prête à les suivre. Chaque parti a son programme, « sa plate-forme ; » mais au congrès, dans le fractionnement de l’assemblée et dans l’emmêlement des votes, il est impossible de voir à quel point chaque député reste fidèle à son programme. En Angleterre, la direction de la législation et des affaires est exercée par les chefs de l’opinion à qui le pays a donné la majorité et qui arrivent au pouvoir. En Amérique, tout est différent : il n’y a pas, à vrai dire, de leaders, comme le sont par exemple, en ce moment, en Angleterre, M. Gladstone et lord Salisbury. Les hommes les plus éminens des différens partis ne sont pas toujours ceux que l’on élit, et, élus, ils sont tellement enlacés dans les rets du règlement, qu’ils sont réduits à l’impuissance. Il s’ensuit que le peuple se défie de la chambre, dont il ne peut suivre la marche ni comprendre les résolutions. L’assemblée nationale devrait être l’instrument de ses volontés, et elle ne l’est à aucun degré. Elle n’est donc nullement populaire.

La puissance des parlemens dépend, dit-on avec raison, du pouvoir qu’ils ont de disposer du revenu public. Dans aucun pays libre, la proportion des dépenses que votent annuellement les chambres, n’est aussi minime qu’aux États-Unis. Ainsi, dans le budget de 1880,