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fois en 408, une seconde fois, après remaniemens, en 388, et nous toucherons à une des plaies vives d’Athènes. Sous un gouvernement vigilant et ferme, les accusateurs étaient contenus par la loi qui leur imposait une amende de 1,000 drachmes s’ils n’obtenaient pas au moins le cinquième des suffrages. Avec des gouvernans plus amoureux de popularité que de justice, les sycophantes pullulaient.


CHREMYLE. — Es-tu laboureur ?
LE SYCOPHANTE. — Tu me crois donc bien fou ?
CHREMYLE. — Marchand ?
LE SYCOPHANTE. — J’en prends le nom quand cela m’est utile.
CHREMYLE. — Mais, enfin, n’as-tu pas un métier ?
LE SYCOPHANTE. — Non, par Jupiter !
CHREMYLE. — De quoi donc vis-tu si tu ne fais rien ?
LE SYCOPHANTE. — Je surveille les affaires publiques et privées.


Tout en faisant la part des exagérations du poète, on reconnaît sous ces tableaux satiriques un fond de vérité. C’est qu’Aristophane, mort plus d’un demi-siècle après le commencement de la guerre du Péloponnèse, avait vu se développer au sein de la glorieuse démocratie de Périclès les défauts particuliers au gouvernement populaire, lorsque, au-dessous de lui, se trouve une foule turbulente qu’il ne sait ni maîtriser, ni conduire. Il y avait maintenant deux peuples dans la ville : les vieux Athéniens, parmi lesquels subsistait un reste d’aristocratie, trop faible pour dominer, mais qui eût été assez fort pour aider à contenir, et la populace que le commerce maritime et la guerre avaient accumulée au Pirée ; celle-ci, foule inquiète, envieuse et famélique, voulait vivre du butin sur l’ennemi, des exactions sur les alliés, des amendes et des confiscations sur les riches. Réunis à l’Agora, ces deux peuples n’en faisaient plus qu’un, et le second, accru des pauvres de la ville, dominait. C’était lui qui légiférait, administrait et jugeait sans contrepoids ni contrôle et il n’était pas exigeant quant aux mérites de ceux qu’il prenait pour chefs : de Périclès il était tombé à Cléon, de Cléon à Hyperbolos et tout beau parleur qui le flattait devenait bien vite un important personnage. Ces démagogues dirigeaient moins la multitude qu’ils ne se laissaient conduire par elle en justifiant à ses yeux, par des apparences de raisons, toutes les passions du moment. De là des décisions irréfléchies, de la légèreté dans les affaires les plus graves, et la fortune publique considérée de plus en plus comme une propriété commune qui devait être partagée entre les citoyens sous forme de triobole, de distributions gratuites plus fréquentes et de dépenses sans cesse accrues pour leurs fêtes et leurs