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d’en finir avec cette guerre de dix ans contre les barbares d’Asie, en donnant Troie à la Grèce ; l’autre religieuse, le devoir d’obéir aux dieux. Les oracles avaient dit que Troie ne serait prise qu’avec les flèches d’Hercule ; les Grecs chargent Ulysse de les enlèvera Philoctète, qui les possède. Puni d’une plaie incurable pour avoir trahi un serment, le héros avait été abandonné dans une ile déserte à cause de l’infection qu’exhalait sa blessure. L’astucieux roi d’Ithaque justifie sa réputation, il ment et ruse, sans plus de scrupules que n’en avait son peuple, qui faisait d’Hermès le dieu du mensonge et estimait une fraude habile à l’égal d’un vaillant exploit. En face de cet aïeul de Thémistocle et de Lysandre, le poète place le fils d’Achille, Néoptolème, qui, étant de la race des héros, refuse de se prêter à cette duplicité. « Je sais, lui dit Ulysse, que tu n’aimes ni les paroles ni les actions artificieuses. Mais il est doux de réussir ; après, nous redeviendrons justes. » A quoi Néoptolème répond : « Fils de Laërte, les conseils que j’ai peine à entendre, j’aurais horreur de les suivre… J’aime mieux échouer avec honneur que réussir avec honte. » Il cède cependant, séduit par la gloire qui lui est promise, s’il rapporte au camp des Grecs les flèches d’Hercule, et il les ravit par surprise. Mais bientôt, saisi de honte, il les rend à Philoctète, qui, obstiné dans sa haine contre les Atrides, refuse de quitter son île. Hercule, alors, descend du ciel et décide l’ancien compagnon de ses travaux à accomplir les oracles. En remettant ses armes au fils d’Achille, Philoctète ajoute un conseil : « Prends garde à Némésis ; » c’est-à-dire : Ne tire pas trop d’orgueil des coups que tu vas frapper ; les dieux n’aiment pas les fortunes trop grandes.

Deux choses font l’intérêt puissant de cette tragédie : l’opposition de caractère d’Ulysse et de Néoptolème, double portrait du peuple grec, et les plaintes du malheureux dépossédé des armes qui assuraient sa subsistance. Ses prières rappellent celles de Priam aux genoux d’Achille, et ses souffrances physiques et morales, que Sophocle peint avec une complaisance cruelle, sont d’un pathétique plus humain et, pour nous, plus touchant que les tortures grandioses et divines de Prométhée.

On croirait que l’Œdipe-Roi, l’Œdipe à Colone et l’Antigone ont formé une trilogie, comme l’Orestie d’Eschyle. Les événemens se suivent et s’enchaînent, mais les dates de la représentation de ces pièces sont différentes. Œdipe régnait à Thèbes, heureux et respecté, lorsqu’une peste terrible qui s’étend sur la cité annonce la colère des dieux ; cette fois encore, des innocens sont frappés au lieu du coupable. C’est l’ancienne loi : le peuple puni pour son prince. Mais le malheur s’approche de celui-ci. La nouvelle de la mort de son prétendu père, le roi de Corinthe, produit des