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libération du territoire ; Ils méconnaissaient ainsi la véritable cause de ce réveil des affaires, qui a été, non la conclusion de gros emprunts, mais la nécessité ou tout, le monde s’est trouvé simultanément de réparer les désastres et les vides faits par la guerre, depuis les compagnies de chemins de fer qui ont dû dépenser des centaines de millions en réfections de leurs voies et en acquisitions de matériel, jusqu’aux plus modestes particuliers qui ont eu à remonter leur petit ménage. Quelque défectueux que pût être le raisonnement sur lequel elle s’appuyait, cette impression favorable du monde de la bourse vint en aide au gouvernement et le soutint contre la coalition que formèrent, au sein de la commission : du budget, les amis des deux précédens ministères.

Les plans de M. Sadi-Carnot ne pouvaient manquer de rencontrer plusieurs sortes d’adversaires. Les changemens qu’il s’agissait d’apporter dans l’organisation et le fonctionnement des trésoreries générales ne pouvaient satisfaire les utopistes qui en poursuivent la suppression et qui, sans tenir compte de la différence des situations et des lois, rêvent de faire faire, comme en Angleterre, le service financier de l’état par la Banque. D’un autre côté, ces changemens n’étaient pas sans inquiéter ceux qui ont étudié de près le mécanisme de notre organisation financière et qui peuvent mesurer quelle sécurité elle assure au trésor. Le ministre lui-même était contraint de reconnaître qu’après ces changemens les garanties que présente actuellement le service des trésoreries seraient affaiblies, et il proposait d’ores et déjà la création d’un corps de contrôleurs spéciaux. Était-ce la peine de toucher à une organisation consacrée par le temps et par l’expérience pour aboutir à une économie problématique et, dans tous les cas, fort peu considérable ? Ici, l’intérêt public était seul en question : la proposition de soumettre à l’impôt les bouilleurs de cru causait de bien autres alarmes parmi les députés du midi, qui forment le noyau de la majorité ; ils avaient sujet d’appréhender qu’elle ne rencontrât une vive opposition dans les départemens vinicoles. Le doublement des licences ne pouvait manquer non plus de mécontenter les débitans de boissons, qui sont les électeurs les plus influens. Comment le ministre avait-il pu être assez imprudent pour soulever de pareilles questions à la veille du renouvellement des conseils généraux ? Il était indispensable de les ajourner jusqu’après les élections.

Toutes ces objections furent mises à profit par les ennemis déguisés du cabinet, principalement par les hommes politiques qui croyaient avoir intérêt à défendre les erremens financiers des dernières années. Le nouveau plan de finances ne supprimait pas seulement le budget extraordinaire, il supprimait en même temps