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comptait M. Sadi-Carnot parmi ses membres. Le chef de ce cabinet, M. de Freycinet, annonça dans le programme communiqué aux chambres, le 10 janvier 1886, que le budget de 1887 serait mis en équilibre sans emprunt et sans impôt nouveau. Cette promesse produisit une sensation d’autant plus grande que, d’après les engagemens pris envers le parlement, le budget extraordinaire devait être supprimé et toutes les dépenses ramenées au budget ordinaire, et que les évaluations du budget de 1887 devaient avoir pour bases les recettes réalisées en 1885, qui avaient été inférieures à celles de 1884. Avec des recettes moins fortes et des dépenses plus grandes, arriver sans emprunt et sans impôt à cet équilibre qui n’avait pu être obtenu, depuis plusieurs années, était une sorte de miracle financier. Quel était donc le merveilleux secret que le cabinet avait à sa disposition ? Hélas ! le cabinet n’en possédait aucun, et le budget de 1887, présenté le 16 mars 1886, avait pour traits essentiels l’émission d’un emprunt considérable et une aggravation de l’impôt sur l’alcool. Avec une subtilité digne des casuistes les plus déliés, M. de Freycinet a bien voulu expliquer qu’on s’était mépris sur le véritable sens des termes employés par lui ; qu’il avait uniquement exclu l’hypothèse de pourvoir, par un emprunt spécial, à une partie des charges ordinaires ; qu’il ne s’était point interdit de substituer une dette perpétuelle à une partie de la dette temporaire, et qu’une semblable transformation, qui n’accroissait point le montant de la dette antérieure, ne pouvait recevoir le nom d’emprunt. À ce compte, M. Tirard a eu tort, en 1884, de qualifier d’emprunt l’opération qui a substitué des rentes amortissables à 350 millions de bons du trésor et d’obligations à court terme. L’état, avant de faire un appel direct au public, ayant l’habitude de commencer par épuiser les ressources que la dette flottante peut lui fournir, le nom d’emprunt pourrait être contesté à presque toutes les opérations financières dont la France a été témoin. C’est à l’aide d’équivoques de même valeur que le gouvernement s’est défendu d’ajouter une nouvelle charge au fardeau des contribuables, tout en grevant de taxes supplémentaires le commerce des boissons.

L’œuvre valait mieux que les argumens par lesquels on entreprenait de la défendre : elle constituait un retour à cette unité du budget sans laquelle il ne peut y avoir ni ordre, ni clarté dans les finances. Voici en quels termes M. de Freycinet, dans la séance de la chambre des députés du 8 avril dernier, résumait les intentions du gouvernement : « Le projet de budget, disait-il, qui vous a été proposé, s’est inspiré d’une triple pensée et a eu pour but de réaliser un triple objet. Je les indique d’un mot. Il a voulu : 1° rétablir l’équilibre, c’est-à-dire faire une exacte balance entre les recettes