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affaire, mais qu’il ne saurait y consentir ; qu’il avait égard à la situation d’un homme qui s’était fait aimer dans le pays où il gouverne ; que lui, d’ailleurs, aimait passionnément la reine et qu’il était en relations continuelles avec elle. Tout cela, et peut-être davantage sur cet article, se disait sous le masque… » Et le roi à son tour, renchérissant, commentant la chronique secrète avec son goût des citations et des exemples historiques, répondait à son ministre : « … On parle d’engagemens, mais ce n’est pas là ce qui nuit au bon droit ; c’est une autre cause, et la plus honteuse dont l’histoire ait jusqu’ici fait mention, — car si Antoine abandonna sa flotte et son armée, du moins c’était lui-même et non pas son ministre que Cléopâtre avait subjugué… » Louis XVIII et son plénipotentiaire expliquaient tout par l’influence mystérieuse dans cette affaire de Naples. C’était un peu exagéré. Toujours est-il que M. de Metternich, encore sous le charme, avait de la peine à se dégager et se dérobait sans cesse devant M. de Talleyrand. Il tenait du moins à ne rien hâter, à paraître ne se rendre qu’à la « force des choses, » qui conspirait pour les Bourbons. C’est Murat lui-même qui, avec ses coups de tête en Italie, allait se charger de le délier et de trancher la difficulté.

L’autre affaire, bien plus compliquée encore, qui mettait à de singulières épreuves la diplomatie de M. de Metternich, était cette délicate question des prétentions russes et prussiennes sur la Pologne et sur la Saxe, qui en réalité touchait à tout, remuait toutes les passions et tous les intérêts. La Prusse et la Russie arrivaient au congrès liées par la solidarité des ambitions, ardentes à la conquête, résolues à se soutenir jusqu’au bout dans leurs revendications. Les autres puissances, pour éviter les scissions, s’étaient réservées jusque-là ou avaient paru plutôt se prêter, par une complaisance résignée, aux projets de l’empereur Alexandre et du roi Frédéric-Guillaume. Tant que la lutte avait duré, on avait vécu dans les sous-entendus. Le jour où la grande liquidation s’ouvrait à Vienne, il fallait bien s’expliquer ; les conflits d’intérêts ne pouvaient manquer d’éclater. Les rivalités se dévoilaient, et c’est là que M. de Talleyrand avait su habilement profiter de sa position désintéressée pour se glisser entre les « alliés, » comme ils affectaient de s’appeler encore. « Comment, disait-il à M. de Metternich, un jour qu’il était resté seul avec lui, au début du congrès, — comment avez-vous le courage de placer la Russie comme une ceinture autour de vos principales possessions, la Hongrie et la Bohème ! Comment pouvez-vous souffrir que le patrimoine d’un ancien et bon voisin, dans la famille duquel une archiduchesse est mariée, soit donné à votre ennemi naturel ? Il est étrange que ce soit nous qui voulions nous y opposer et que ce soit vous qui ne le vouliez pas ! » M. de