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du juif, poussa l’exclamation : « Allah iemer Moula-Rechid! Dieu donne la victoire à Moula-Rechid ! » Et celui-ci devint sultan du Maroc. En souvenir de l’appui que lui avaient prêté les tolba, une fête commémorative s’est perpétuée depuis cette époque, fête dans laquelle, comme je l’ai dit, les étudians sont associés en apparence au pouvoir de l’empereur. Pour faciliter, en outre, les études de ses anciens condisciples, Moula-Rechid créa une magnifique zaouia, qui subsiste toujours et qui s’appelle la Medrena-Rechidia. Il existe à propos d’elle le dicton suivant : El naçr min Allah oua min el arba’în : Avec l’aide de Dieu et le corps d’armée des quarante! — contre-partie de la phrase sacramentelle : Avec l’appui de Dieu, la victoire est promise, porte cette nouvelle aux musulmans : El naçr min Allah ou fatihna garibou, ou bechcher el mouminina!

Naturellement, la légende ajoute encore que Moula-Rechid épousa la jeune fille qu’il avait délivrée. Ainsi finissent les romans, ainsi s’écrit l’histoire chez les Arabes. Je doute fort que les choses se soient passées comme on le raconte dans.la fête des tolba. Moula-Rechid, né d’une affreuse négresse, et féroce autant que peut l’être un mulâtre, commença par asseoir son autorité sur le Tafîlet à l’aide d’une série d’expéditions et d’aventures sanglantes ; c’est seulement lorsqu’il en fut maître assuré qu’il établit et consolida sa puissance dans le bassin de la Monlouia et dans le Riff, qu’il passa à Taza et finit par s’emparer de Fès à l’aide d’une surprise. Nous avons vu qu’il faisait le siège de cette ville, lorsque Roland-Fréjus fut expédié en ambassade auprès de lui par Louis XIV, et que la présence des ambassadeurs du plus grand prince de l’Europe contribua à en amener la reddition. Le gouverneur de Fès-Bali fut immolé, quoiqu’il eût livré ses trésors; celui de Fès-Djedid subit le même sort, en refusant de déclarer où il avait enfermé les siens. Pour obliger les femmes à lui donner l’argent qu’elles possédaient, Moula-Rechid les fît approcher d’un coffre à l’ouverture duquel leurs mamelles furent placées ; puis il monta sur le couvercle et arracha ainsi les aveux qu’il désirait. Il y a loin de ces mœurs-là à la pitié chevaleresque que la légende lui prête pour la malheureuse fille de la cherifa ! Les caïds des environs de Fès ne se sentaient pas de taille à résister à un conquérant aussi féroce ; ils se soumirent. Le seul épisode romanesque de. Cette conquête brutale, c’est le mariage de Moula-Rechid, qui épousa une fille de l’un de ces caïds, nommé Loueti, laquelle prit sur le cœur de son époux assez d’influence pour tempérer son atrocité naturelle. Si Moula-Rechid créa une medreha et s’intéressa au progrès des études, il n’en est pas moins vrai que, sous la dynastie fondée par lui, la décadence intellectuelle du Maroc n’a pas cessé un instant de faire