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notre cause si Napoléon de son côté accepte la médiation ? » M. de Metternich répondait : « S’il la décline, l’armistice cessera de plein droit et vous nous trouverez dans les rangs de vos alliés ; s’il l’accepte, la négociation montrera à n’en pouvoir douter que Napoléon ne veut être ni sage ni juste, et le résultat sera le même. En tout cas, nous aurons gagné ainsi le temps nécessaire pour pouvoir établir notre armée dans des positions où nous n’aurons plus à craindre une attaque contre un seul d’entre nous et d’où nous pourrons, de notre côté, prendre l’offensive… » C’était clair. Que Napoléon, emporté par l’orgueil, eût commis depuis quatre mois la faute singulière de laisser l’Autriche passer par degrés à l’ennemi, qu’il fût sur le point de commettre une faute plus grave encore en refusant de souscrire à des conditions qui touchaient à peine à sa grandeur, qui sauvegardaient surtout les intérêts de la France, c’est possible. Il n’est pas moins vrai que M. de Metternich, en présentant sa médiation, était un ennemi. Il avait pris son parti, et c’est dans ces dispositions qu’il recevait de M. de Bassano l’invitation de se rendre à Dresde pour cette entrevue si souvent racontée, si souvent commentée, où allaient se trouver une dernière fois, face à face, Napoléon, encore tout plein de sa puissance, et celui qui pouvait se croire un antagoniste sérieux, puisqu’il tenait dans ses mains la paix et la guerre[1].

La scène qui se passait au palais Marcolini, à Dresde, le 26 juin 1813, une année à peine après les pompes du voyage de 1812, était certes dramatique. Elle a été représentée sous des couleurs et des traits assez différens. Des Français ont cru grandir Napoléon en lui prêtant une violence injurieuse qui n’aurait été ni habile ni digne. M. de Metternich s’est fait complaisamment son rôle à lui-même dix ans après en écrivant dans ses Mémoires : « À ce moment, je me regardai comme le représentant de la société européenne tout

  1. L’entrevue de Dresde, on le remarquera, n’eut aucun témoin ; elle dura huit heures sans interruption, et les récits qui en ont été faits n’ont pu être nécessairement qu’assez approximatifs. On a prétendu que Napoléon aurait dit à son interlocuteur : « Ah ! Metternich, combien l’Angleterre vous a-t-elle donné pour vous décider à jouer ce rôle contre moi ? » Rien n’autorise à admettre comme authentique cette parole, qui aurait été sans doute relevée sur-le-champ, et à laquelle le ministre autrichien ne fait aucune allusion. Le mot eût-il été dit, le peu de soin que le ministre autrichien a mis à le relever prouve assez qu’il n’aurait en aucune application personnelle, qu’il faisait allusion aux subsides que l’Angleterre allouait à l’Autriche, ce qui n’avait plus rien d’injurieux. Les écrivains qui ont refait les discours de l’empereur n’étaient pas là pour les entendre. M. de Metternich, qui était seul présent, et dont le récit, très circonstancié, a toute la valeur d’un témoignage direct et personnel, quoique intéressé, a pu lui-même arranger un peu la scène et le dialogue à sa façon. Il s’est donné le beau rôle ; il a forcé le sens et le ton. En général, on peut, sans risquer de manquer à la vérité, atténuer quelque peu le ton de M. de Metternich ici et ailleurs. Tout cela se ressent d’une rédaction faite après nombre d’années.