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se tourner vers les puissances alliées pour les sommer de s’arrêter, ou marcher sur elles. M. de Metternich, par un prodige de dextérité, s’emparait de cette communication en la détournant de son vrai sens et en la traduisant à son usage : il répondait qu’effectivement, comme le pensait le souverain de la France, l’ancienne alliance ne pouvait plus suffire, que l’Autriche y avait songé, que c’était pour cela qu’elle armait, qu’elle était toute prête à entrer dans les vues de l’empereur en s’interposant entre les belligérans. Il se hâtait de prendre possession du terrain qu’on lui offrait, et si on le pressait de s’expliquer un peu plus, de dire comment il entendait la médiation, ce qu’il ferait si ses conditions n’étaient pas acceptées par Napoléon, il répliquait de façon à laisser M. de Narbonne persuadé que le médiateur se changerait en ennemi. Il avait mis quatre mois pour en arriver là ! Le moment était venu de faire un pas de plus. « L’empereur, dit-il, m’avait laissé libre de lui désigner l’instant que je regarderais comme le plus favorable pour faire connaître notre passage de la neutralité à la médiation armée… Les victoires de Napoléon à Lutzen et à Bautzen m’avertirent que l’heure avait sonné. » C’est ici, en effet, que l’action se serre et se précipite à travers tous ces épisodes de l’armistice de Pleiswitz, de l’entrevue de Dresde, de l’inutile congrès de Prague, dernière fiction destinée à couvrir la suprême évolution de l’Autriche, le passage de la médiation armée à l’hostilité déclarée.

Au moment où M. de Metternich, averti par les coups de clairon de Lutzen et de Bautzen, se décidait et décidait l’empereur François à quitter brusquement Vienne le 1er juin, à se porter en Bohême pour être plus près des événemens, il ne cessait d’affecter une indépendance impartiale entre Napoléon qui le pressait de se rattacher à sa cause victorieuse et les alliés qui le sommaient d’en finir avec toutes ses négociations. Ce n’était encore qu’une apparence, la continuation de la comédie avant le drame. Depuis quelques jours déjà, même avant Bautzen, il avait expédié M. de Bubna à Dresde, auprès de Napoléon, avec la proposition officielle de médiation armée sur laquelle il feignait de compter. Au fond, il était tout entier par la pensée, par les sympathies, par ses vœux, au camp des alliés : il n’était vrai et sincère qu’avec eux. Il l’avoue lui-même en racontant dans ses Mémoires son brusque départ de Vienne. « Il s’agissait d’arrêter Napoléon dans sa marche en avant… » Rencontrant M. de Nesselrode sur son chemin, dans un village, au moment de l’armistice, il lui remettait une lettre où il disait à l’empereur Alexandre : « Sire, nous sommes ici : patience et confiance ! Je vous verrai dans trois jours et dans six semaines nous serons alliés… » Et à Alexandre lui-même, qu’il rencontrait peu après, qui s’inquiétait des temporisations, qui lui disait : « Que deviendra