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surveillance des ateliers par des inspecteurs que les ouvriers eux-mêmes éliraient et que l’état paierait. Il y a des choses réalisables dans le programme, ou n’a pas tant attendu pour s’en occuper ; le reste est probablement destiné à demeurer longtemps encore dans le domaine du rêve, et l’erreur des républicains amis du gouvernement est de laisser croire, par un faux calcul de popularité, que la république est intéressée à accepter une solidarié quelconque avec des chimères ruineuses pour l’industrie, pour le travail, pour les ouvriers eux-mêmes.

À voir le mouvement des choses, la direction des esprits, le déclin de certaines croyances et de certaines idées, la nature des phénomènes de la vie morale ou politique ou même industrielle, on sent mieux le sérieux attrait d’un passé qui est déjà loin de nous ; on revient par instant plus volontiers vers d’autres époques, vers d’autres périodes de l’histoire, qui ont eu, elles aussi, leurs révolutions et leurs crises, qui ont eu en même temps leur vivace originalité et ont vu se succéder les plus fortes, les plus brillantes générations du siècle. Il y a dans ce passé désormais accompli un intérêt supérieur et des enseignemens inépuisables pour tous ceux qui veulent se donner le spectacle d’un pays généreux retrouvant à chaque épreuve la plus rare variété de talens et de caractères. Chaque période à son élite. Les hommes de l’empire ne sont pas les hommes de la restauration, ni les hommes de la monarchie de juillet ; mais tous, ils gardent le signe des générations ascendantes, marquées pour remplir la scène avec éclat. Nul n’a eu plus d’autorité que le duc Victor de Broglie, celui qui s’éteignait en 1870, à la veille des désastres de la France, pour parler de ces temps du passé qu’il fait revivre dans ses intéressans Souvenirs, intéressans par l’homme et par les époques dont il rend témoignage.

Né en 1783, petit-fils de l’illustre maréchal de Broglie, fils d’un père engagé à l’assemblée constituante et mort victime de la terreur, pupille de M. d’Argenson, ce gentilhomme démagogue devenu le second mari de Mme  de Broglie, auditeur au conseil d’état sous l’empire, appelé par la restauration à la pairie, marié à la plus brillante et la plus digne des femmes, la fille de Mme  de Staël, il semble garder comme un reflet de toutes les diversités de sa vie dans sa physionomie sérieuse et compliquée. Par sa naissance, il est de l’ancienne société française ; par ses instincts, par son éducation, il est tout entier des temps nouveau ; de la société créée par la révolution, il n’a aucune illusion d’ancien régime, d’émigration ou de légitimité traditionnelle. Il a passé par la forte école de l’empire, mais sans avoir « l’épine dorsale brisée, » comme il le dit plaisamment de M. Beugnot. Personnage original et curieux, invariable dans une longue carrière, à la fois passionné et réfléchi, fin parfois jusqu’à subtilité et ferme jusqu’à la raideur avec