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personnelles ou des intérêts électoraux. Ils suspendent ou ils ralentissent l’action criminelle, selon leur bon plaisir, avec un peu de secours des gardes des sceaux ; ils disposent même au besoin du droit de grâce, et la brochure sur l’ingérence parlementaire dans l’administration cite l’exemple d’un député qui aurait obtenu qu’un de ses protégés fût exonéré d’une amende et de droits s’élevant à plus de deux cent mille francs. Voilà qui donne une haute idée de l’influence d’un député !

Les faveurs sont pour les privilégiés, pour les fidèles naturellement, les rigueurs sont pout les suspects, pour les tièdes, objet de la surveillance des inquisiteurs, à qui le gouvernement n’a rien à refuser. Et qu’un fonctionnaire, dans son modeste service, ne s’avise pas de résister ou d’affecter quelque indépendance, il serait vertement rabroué et ramené au devoir de soumission envers l’influence parlementaire. Il s’exposerait à quelque mauvaise aventure comme celle à laquelle vient d’être exposé M. le préfet de la Loire pour ne s’être point incliné assez bas devant un député radical de son département. L’incident est sans doute par lui-même de peu d’importance ; il n’est pas moins curieux et significatif. La compagnie houillère du bassin de Rive-de-Gier a cru devoir récemment restreindre ses opérations, et, comme les intérêts des ouvriers sont toujours nècessairement plus ou moins engagés dans ces sortes d’affaires, un débuté de la Loire, M. Laur, qui s’est déjà signalé à Decazeville, s’est aussitôt mis en devoir de reprendre son rôle, un rôle plus bruyant qu’efficace ; il s’est hâté d’intervenir pour stimuler le zèle du gouvernement en faveur des « braves mineurs » contre la compagnie dont il poursuit ni plus ni moins la déchéance. M. le ministre des travaux publics, on le comprend, ne pouvait se dispenser de céder en partie à la pression radicale ; il a chargé le préfet de signifier à la compagnie de Rive-de Gier l’ordre de reprendre certains travaux sous peine des conséquences qu’impliquerait un refus. M. le ministre des travaux publics n’aurait peut-être pas été fâché qu’on fît moins de bruit ; mais ce n’était pas l’affaire du député radical, qui s’est empressé de s’attribuer le mérite de la décision ministérielle en complimentant d’un ton protecteur le gouvernement, en l’excitant à aller « rondement » jusqu’à la déchéance de la compagnie sans autre forme de procès. Bref, le député radical triomphait bruyamment. M. le préfet de la Loire s’est senti piqué et il a adressé au commissaire de police de Rive-de-Gier un télégramme où il déclare que personne n’à le droit de s’attribuer le mérite d’une décision prise dans un intérêt public, où il dément « toute manœuvre ayant pour but de faire supposer que l’administration se soumet à des influences qui n’ont pas à intervenir dans l’instruction d’affaires d’administration. » Aussitôt grande colère de M. Laur, qui ne veut pas qu’on mette en doute son influence et qui entend garder sa popularité auprès