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l’imprudence jusqu’à enrôler publiquement des officiers, discutait avec les agens, employés par lui, les mécontentait au point de s’en faire des ennemis. L’expédition du Midi peu à peu s’ébruitait. A Augsbourg, dans les cafés, on en racontait les détails, on en discutait les chances. Il n’était donc pas étonnant que la police de Fouché fût avertie déjà de l’existence de la conspiration. Un. agent de Willot envoyé par lui à Paris s’était d’ailleurs laissé arrêter et même, à défaut de preuves contraires, on peut admettre que, par suite de cet incident, les renseignemens déjà parvenue au gouvernement français sur cet objet, s’étaient complétés.

Mais les avis qui parvenaient à Willot pour le mettre en garde contre l’espionnage qui s’exerçait autour de l’agence de Souabe, peut-être même dans son sein, et livrait à Fouché jusqu’au véritable nom de l’endosseur des lettres de change qu’elle tirait sur Paris[1], ces avis le laissaient indifférent, ne troublaient pas sa quiétude. Entre les lettres qui parvenaient de France à l’agence, il, n’attachait de prix qu’à celles où l’état des esprits se trouvait décrit tel qu’il le souhaitait.

Elles n’étaient pas rares, ces lettres écrites et expédiées au péril de la vie de leurs auteurs, où de fausses nouvelles, racontées, affirmées, commentées avec une fiévreuse crédulité, servaient de prémisses à des conclusions conformes aux espérances des émigrés, mais contraires à la vérité. Ignorans et naïfs, les rédacteurs voyaient, les choses non telles qu’elles étaient, mais telles qu’ils auraient voulu qu’elles fussent. Ce qu’ils ne voyaient pas, ce qu’ils ne disaient pas, c’est que, lasse, épuisée, affamée de repos et de sécurité, la France attendait un maître, qu’elle le saluait déjà dans Bonaparte, que c’est de lui qu’elle espérait les biens après lesquels elle soupirait et non de ces Bourbons, qu’elle commençait à oublier et dont le retour hypothétique lui était représenté comme le signal d’une ère de réaction et de vengeances.

Ce qu’elles taisaient, ces lettres menteuses, c’est que les manifestes par lesquels le prétendant promettait une amnistie générale, la reconnaissance partielle des faits accomplis, notamment en ce qui touchait les biens nationaux, la consécration des fonctions et des grades acquis sous la révolution, c’est que ces manifestes n’arrivaient pas à « son peuple ; » c’est que, si quelques agens dévoués osaient les colporter mystérieusement, ils ne parvenaient pas à les répandre, c’est qu’enfin ces assurances données par le roi étaient démenties par ses partisans de l’intérieur, hommes, pour la plupart, violens ou exaspérés, qui eussent blâmé sa clémence s’ils

  1. C’était d’André. Il les signait « Southers. » Une perquisition faite à Paris chez le banquier au domicile duquel elles étaient payables révéla son nom.