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entreprise que le gouvernement qui lui refusait une satisfaction dont personne, autour de lui, ne contestait la légitimité. Le 15 avril, Rostopchine, ayant mandé Dumouriez, lui apprit que l’empereur ne jugeait pas que l’heure fût opportune pour exécuter les plans proposés. Il l’engageait à quitter Saint-Pétersbourg, où désormais sa présence était inutile. Les formes courtoises dont s’enveloppait le langage de Rostopchine n’enlevaient rien à la rigueur du procédé dont Dumouriez était victime. On l’expulsait; sa mission se transformait en échec. Cet échec fut aggravé par l’impossibilité où il se trouva d’être mis une dernière fois en présence de l’empereur, quoiqu’il l’eût humblement demandé. La lettre qu’il lui écrivit porte la trace de sa déception. Sous le langage du courtisan elle trahit sa tristesse : « Votre Majesté impériale, disait-il, m’a comblé de marques précieuses d’estime et de bienveillance. Je serais le plus ingrat des hommes si je ne lui en témoignais pas mon éternelle reconnaissance en partant de ses états. Le souvenir des conversations pleines de bonté et de confiance dont elle m’a honoré restera gravé dans mon âme ; le dévoûment le plus désintéressé et le plus pur en est le fruit et durera autant que ma vie. C’est à ce dévoûment énergique, c’est à l’importance des objets qui ont donné matière aux entretiens dont Votre Majesté impériale m’a honoré, qu’elle doit attribuer les instances fatigantes que je me suis permises. Quelque jugement. Sire, que vous ayez pu porter sur mes démarches, l’âme pure et magnanime de Votre Majesté impériale, son équité et son discernement rendront justice à mes motifs. L’estime du plus grand souverain de l’Europe me suivra partout; sa puissante protection appuiera mes démarches ; je réclame avec confiance l’une et l’autre. Elle a eu elle-même la bonté de me tracer mes devoirs. Je les remplirai, sire, ou je mourrai digne de l’opinion que vous avez exprimée sur mon caractère et mes talens (ce sont vos expressions que j’ose répéter). Personne ne souhaite plus ardemment que moi que mon expérience m’ait trompé dans les résultats que j’ai osé tracer à Votre Majesté impériale ; mais, si les circonstances venaient malheureusement à l’appui de mes prédictions, si le tableau funeste que je lui ai tracé, avec l’énergie convenable à son caractère, se vérifiait, je serais toujours prêt à me rendre aux ordres de Votre Majesté impériale et à seconder de tout mon zèle ses grands et généreux desseins ; elle trouverait toujours en moi le courage de la vérité et l’enthousiasme de sa gloire. Dans tout ce que j’ai écrit et dit, vous jugerez, Sire, que je n’ai cherché à vous plaire, ni pensé à profiter de la générosité de Votre Majesté impériale ; un motif plus noble m’animait. Sa gloire, sa sûreté, le salut de l’Europe, le rétablissement de mon roi, de la religion et