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silencieuse des ministres russes, Dumouriez n’écrivait que rarement à Mitau, ne sachant que dire. Pour occuper ses loisirs, il traçait un plan de défense du Portugal, à la demande du chevalier de Herta, envoyé de ce pays. C’est pendant cette période d’attente qu’il reçut de Saint-Priest l’étrange ouverture que voici :

« Le plan du général Willot pour agir sur nos provinces du Midi a pris couleur. L’Angleterre fournit 2 millions 1/2 avec lesquels il se croit en mesure d’opérer un soulèvement et de lever une force armée. Mais je vous avoue que je n’ai pas le même espoir s’il n’a quelqu’appui du dehors. On tâtera sur cela la cour des Deux-Siciles, et ce serait le cas d’y employer M. le duc de Berry[1]. Mais il nous a été proposé un moyen que je crois d’un succès plus probable. Ce serait, si l’affaire de Danemark n’a pas lieu, de vous envoyer en Égypte auprès de Sidney Smith, avec des moyens pécuniaires de l’Angleterre pour débaucher l’armée française d’Égypte en tout ou partie et l’amener ensuite sur un point de nos côtes qui serait d’avance convenu avec Willot. Nous venons d’en écrire en Angleterre et, si la chose est admise et vous agrée, vous partirez de Saint-Pétersbourg pour Constantinople et l’Égypte. Voyez si, en désespoir de cause, vous ne feriez pas cette ouverture au ministère russe. Il me semble que, s’il y donnait de l’appui à la cour de Londres, cela serait d’un grand poids. »

On croit rêver en lisant, écrite par le personnage le plus sage et le mieux équilibré de l’émigration, cette proposition hautement fantaisiste. Elle fit lever les épaules à Dumouriez. Il la trouvait extravagante. Il le donna à entendre et on ne lui en par la plus, si ce n’est pour établir qu’on se rendait à ses raisons. D’ailleurs, l’armée d’Égypte avait subi un échec : « Il est à présumer que tout est bâclé et qu’on n’arriverait pas à temps. » Après avoir rendu compte de ses rapports avec Paul Ier , Dumouriez espaça de plus en plus ses lettres au roi. Le 4 avril seulement, il prit la plume pour annoncer son arrivée prochaine à Mitau. Quatorze jours plus tard, on y était encore sans nouvelles de lui.

Il attendait toujours à Saint-Pétersbourg les réponses du tsar. Mais, brusquement, il iut invité à suspendre toutes démarches auprès de l’ambassade anglaise. Paul venait d’apprendre que l’Angleterre refusait de lui livrer l’île de Malte, dont il s’était déclaré grand maître. Or, l’île de Malte, c’était « sa marotte, » au dire des contemporains. Il ne voulait pas se trouver engagé dans la même

  1. Ce prince venait de quitter Mitau, et, au grand mécontentement de l’Autriche, de partir pour Naples, où il espérait épouser une princesse royale.