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1890. Le ministre avait donc joué sur les mots en annonçant qu’il n’y aurait point d’emprunt en 1885 : il ne devait pas, en effet, y avoir d’émission de rentes; mais 208 millions devaient être empruntés sous forme d’obligations; comme la dette flottante atteignait déjà près de 1,100 millions au 1er janvier, qu’elle allait avoir à supporter pour plus de 250 millions de déficit, cette nouvelle addition devait la ramener bien près du chiffre de 2 milliards. Il est inutile d’insister sur la prolongation de la partie de cette dette contractée en obligations. L’extinction de ces obligations, qui devait avoir lieu en 1883, avait d’abord été rejetée sur 1885, puis sur 1888. M. Tirard la reculait jusqu’en 1890 : on sait que le budget de 1886, s’il est maintenu dans sa teneur première, la reporterait jusqu’en 1892.

Quant au budget ordinaire, il était présenté aux chiffres de 3,048,720,927 francs en recette et de 3,048,544,744 en dépense, soit avec un excédent de recette de 176,483 francs, qui ne pouvait être pris au sérieux. En effet, le ministre avait persisté dans son mode arbitraire d’évaluations, et il en donnait une raison ingénue : « Il est impossible, disait-il, de revenir, dès à présent, à l’ancien système, puisque les recettes réalisées en 1883 sont inférieures à l’évaluation des dépenses de 1884 : a fortiori, le seraient-elles aux dépenses de 1885. » Il était impossible de confesser plus clairement que la préoccupation du gouvernement, quand il préparait le budget, n’était pas d’arriver à la vérité et de la faire connaître au pays, mais d’obtenir par des artifices de calcul un équilibre factice. Le montant des recettes effectuées en 1883 étant estimé par le gouvernement lui-même à 2,953 millions : c’est à ce chiffre seulement qu’auraient dû être portées les évaluations de recettes pour 1885, et il était d’autant plus indispensable de se maintenir dans ces limites que les recettes des premiers mois de 1884 demeuraient sensiblement au-dessous de celles de 1883, et que rien ne faisait présager un relèvement du revenu.

Ce budget de 1885 était donc une fiction dès le jour où il fut présenté. On a déjà établi, en s’appuyant sur le témoignage de M. Léon Say et même sur celui de M. Dauphin, rapporteur de la commission sénatoriale, que la commission de la chambre, qui s’était emparée de ce budget et avait entrepris de le refondre, n’était parvenue à aligner les recettes et les dépenses qu’à l’aide de procédés tout nouveaux, d’une efficacité problématique. On a pu dire de l’œuvre sortie des mains de la commission que c’était l’hypothétique greffé sur l’imaginaire. Cependant, on n’était pas encore au bout de tous les étonnemens que ménageait encore au public ce singulier budget, où l’on exagérait les recettes, où l’on escomptait jusqu’aux annulations possibles, où l’on dissimulait les dépenses jusqu’à scandaliser un optimiste aussi déterminé que M. Dauphin. Il fut l’occasion