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pas encore été soumis au parlement, nous voyons que 10 millions ont fait l’objet d’une réserve. Mais qu’est-ce que cela? C’est purement et simplement un jeu d’écriture ; et, par conséquent, lorsqu’il s’agira de donner aux sociétés de secours mutuels la somme de 10 millions que demande le projet, ce sera 10 millions qu’il faudra prendre : sur quoi? Sur les ressources de la dette flottante... Je crois qu’il suffit de poser la question pour que le sénat adopte l’avis de la commission des finances. Ce n’est pas le moment d’augmenter encore le découvert du trésor d’une somme de 10 millions. » l’article fut rejeté : la commission sénatoriale eut gain de cause ; mais elle n’avait pas fait seulement le procès de cet article : elle avait, à plus forte raison, condamné formellement les lois de finances qui, précédemment, avaient imputé 48, 80 et jusqu’à 119 millions sur des excédens provisoires, et aligné toute une série de budgets au moyen de ces formidables « jeux d’écritures. » Enfin, il est une autre considération qui ne saurait être passée sous silence. Lorsque le ministre inventif qui a introduit dans la préparation des budgets tant de mesures judicieuses et tant d’expédiens hasardeux, M. Léon Say, imagina le premier d’équilibrer le budget ordinaire en atermoyant, au moyen de renouvellemens, 76 millions d’obligations qui arrivaient à échéance et pour lesquelles il n’avait pas d’argent, il introduisit dans la loi de finances un article qui affectait les excédens de recettes d’une manière spéciale et avant tout autre emploi à l’extinction des obligations ainsi renouvelées. Les excédens de recettes avaient donc une destination légale, une affectation obligatoire dont on ne pouvait les détourner ; les imputations par lesquelles on a, en apparence, équilibré plusieurs budgets, étaient donc autant d’illégalités ; car si la prescription proposée par M. Léon Say n’a jamais été observée, elle n’en subsiste pas moins.

L’année 1882 peut être considérée en quelque sorte comme une année climatérique. Les symptômes d’épuisement que nous signalions ici même, en 1881[1], et qui nous inspiraient pour l’avenir des appréhensions, malheureusement trop justifiées par les faits, devinrent manifestes. Deux des principales sources du revenu public, les recettes de l’enregistrement et les recettes du timbre, qui avaient suivi constamment une progression régulière, donnèrent, pour la première fois, des résultats inférieurs à ceux de l’année précédente et accusèrent ainsi, par une preuve irréfragable, les atteintes subies par la propriété et le ralentissement des affaires. Le budget ordinaire de cette année n’avait été mis en équilibre apparent qu’au moyen de l’imputation de 63 millions 1/2 sur les prétendus excédens

  1. Voyez la Revue du 1er août 1881.