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avoir ainsi forcé la main au parlement, on interprète le vote du crédit comme une consécration des fonctions créées et on en inscrit la rémunération au budget ordinaire de l’exercice suivant. C’est ainsi que les dépenses du personnel administratif ont été accrues d’environ 100 millions en une dizaine d’années ; si l’on déduit de cette somme 40 millions qui représentent les légitimes augmentations de traitement accordées à de petits fonctionnaires, comme les facteurs de la poste, dont la rémunération était honteusement insuffisante, il reste une cinquantaine de millions dont l’inscription au budget aurait été ou repoussée ou différée par un parlement économe. Ces créations d’emplois nouveaux ne sont pas la seule brèche qui ait été faite aux finances ; la multiplication des fonctions ne permettait pas de pourvoir, tous les solliciteurs suffisamment appuyés : il a fallu y ajouter la multiplication des vacances par les retraites anticipées. La loi exige trente années de services pour l’obtention de la retraite : on a considéré chaque année de service comme correspondant à deux soixantièmes de la retraite légale ; et on met à la retraite des fonctionnaires qui n’ont que vingt-six ou vingt-sept ans de services en leur accordant ce qu’on appelle la retraite proportionnelle, c’est-à-dire la retraite légale, réduite de deux soixantièmes, suivant le nombre d’années de services au-dessous de trente. Les fonctionnaires qui résistent à l’invitation de demander la retraite proportionnelle sont mis en disponibilité avec une allocation inférieure au chiffre de la retraite : aussi se résignent-ils presque tous à voir ainsi abréger leur carrière administrative. Cette interprétation de la loi, que rien ne justifie, mais que la complaisance du conseil d’état a consacrée, a eu pour conséquence un accroissement rapide dans le chiffre des pensions civiles, qui exigent aujourd’hui 15 millions de plus qu’en 1876.

C’est cette accumulation de dépenses inutiles ou exagérées qui peut seule expliquer la situation invraisemblable et pourtant trop réelle dans laquelle la France se trouve aujourd’hui. Malgré l’abandon intempestif de 272 millions de recettes, le gouvernement a perçu, en 1885, 542 millions de plus qu’en 1876 ; et ce demi-milliard, qui est venu s’ajouter aux ressources antérieures, ne lui suffit pas pour mettre le budget en équilibre. Le déficit est devenu chronique, et le gouvernement confesse tout à la fois la nécessité d’un gros emprunt pour liquider le passé, et le besoin, pour assurer l’avenir, d’un accroissement de recettes qui ne peut provenir que de nouveaux impôts. Avant d’arriver à ce pénible aveu, on a épuisé tous les expédiens de trésorerie et tous les procédés de dissimulation. Une rapide revue des derniers budgets suffira à faire voir par quels degrés on a amené le pays en face du gouffre devant lequel il faut confesser la vérité.