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Signalons enfin parmi les sources de dépenses qui ont un caractère manifeste de prodigalité la continuelle multiplication des emplois publics. En Angleterre, tout emploi nouveau doit figurer, avec le chiffre des émolumens qui y sont attachés, dans les Estimates ou évaluations de dépenses que chaque ministre présente et défend personnellement à chaque session. En Italie, la règle est plus rigoureuse encore : une loi organique a déterminé, pour chacune des administrations publiques, le nombre, la hiérarchie et les émolumens des employés. Aucun emploi nouveau ne peut être créé; aucun traitement ne peut être augmenté qu’en vertu d’une loi : le ministre des finances seul dispose d’un crédit annuel pour les travaux extraordinaires qu’il peut avoir à faire exécuter, et ce crédit est limité à la modeste somme de 18,000 francs. En France, aucune administration n’a de cadre fixé par la loi : tout est livré à l’arbitraire du ministre, qui crée ou supprime des emplois par de simples arrêtés, qui bouleverse à son gré la hiérarchie, érige le bureau en division et les divisions en directions, ou effectue le mouvement inverse, et fixe comme il lui plaît les traitemens. Cette absence de toute règle permet aux ministres de faire entrer dans leur administration tous leurs protégés et tous les protégés de leurs amis. Comme les ministres changent en moyenne tous les huit ou neuf mois et que tout nouveau titulaire arrive avec un cortège de créatures, le nombre des fonctionnaires publics n’a cessé de s’accroître; de toutes les administrations centrales, il n’en est qu’une seule, la direction des cultes, qui compte actuellement le même nombre d’employés qu’en 1876 : toutes les autres ont vu augmenter leur personnel et quelques-unes dans une proportion notable. Au ministère de l’instruction publique, par exemple, les bureaux de l’administration centrale, qui, en 1876, comptaient 133 employés, en avaient 273, soit plus du double, en 1884 ; la dépense avait également doublé : elle était montée de 484,400 à 948,150 francs. Au ministère de l’agriculture, on a créé, en quelques années : 1 sous-directeur, 3 chefs de division, 10 chefs de bureau, 5 sous-chefs et 62 employés; les salaires des gens de service se sont élevés de 41,000 à 99,800 fr. La limite elle-même des crédits budgétaires ne met point obstacle aux créations d’emplois que la faveur ou les exigences électorales imposent ; lorsque cette limite est atteinte, on a recours à ces viremens illégaux signalés en si grand nombre dans les rapports de la cour des comptes, et on impute les traitemens sur des chapitres étrangers au personnel. Un autre procédé, contre lequel les commissions du budget se sont plus d’une fois élevées, consiste à faire entrer en fonction les titulaires des nouveaux emplois, puis à demander, au bout de quelques mois, pour les payer, un crédit supplémentaire que l’équité ne permet guère de refuser, et, après