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les expédiens de M. Tirard, M. Jules Roche (le rapporteur) s’écria un jour : « Nous ne pouvons pourtant pas avouer que le budget est en déficit. Qui l’oserait? — Moi, répondis-je. Je n’ai pas changé d’avis, et je crois à une seule politique, celle de la bonne foi. Le peuple est le souverain qui doit tout connaître, puisqu’il doit tout décider et tout juger. »


III.

Par suite de l’emploi simultané des divers procédés qui viennent d’être passés en revue, le budget a fini par perdre toute sincérité, et, on peut même dire, toute réalité. Il a cessé d’être le miroir de la situation financière du pays pour devenir un assemblage de chiffres approximatifs, un trompe-l’œil propre à décevoir le lecteur inexpérimenté. De ce manque de franchise envers le pays à la méconnaissance de la loi, il n’y avait qu’un pas, qu’on n’a point tardé à faire. Dix à onze budgets n’ont pas encore été réglés définitivement, en sorte qu’on se trouve sans base certaine pour établir la situation véritable du trésor et qu’on ne peut connaître avec exactitude ni le chiffre des excédens de recettes, ni le chiffre des déficits que ces dix ou onze années ont donnés : on ne raisonne jamais que sur des approximations. Pour les années les plus récentes, la cour des comptes elle-même n’a pu statuer, faute d’avoir reçu les pièces justificatives qui doivent lui être fournies. Pour faciliter le contrôle du parlement et fournir un point de départ à la discussion du budget, le règlement général de 1862, sur la comptabilité publique, a imposé au ministre des finances l’obligation de fournir aux chambres, dans le trimestre qui suit la clôture d’un exercice, le compte général de l’administration des finances et le compte des dépenses effectuées par les différens ministères. Cette prescription de la loi est devenue lettre morte, et c’est seulement deux et trois ans après l’époque légale que ces documens indispensables sont mis à la disposition des chambres. Que penserait-on d’un particulier qui établirait son budget d’une année sans connaître le chiffre de ses dépenses dans les deux ou trois années précédentes ? Il paraît qu’actuellement les commissions du budget n’éprouvent pas le besoin de posséder ces renseignemens. Quant aux irrégularités de comptabilité et aux infractions aux lois de finances, elles sont de tous les jours et ne se peuvent nombrer. Il suffit, pour s’en convaincre, d’ouvrir les rapports de la cour des comptes relatifs aux derniers exercices sur lesquels elle ait pu statuer, ceux de 1879 et de 1880. La cour constate que, contrairement à la loi, il n’a pas été fait inventaire des objets mobiliers provenant de la dernière Exposition et destinés à être vendus, et qu’elle n’a eu aucun moyen de