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rentes amortissables, si, d’autre part, ou eu retranche les élémens inévitables et qui ne peuvent constituer aucun danger, pour les raisons qui ont été exposées plus haut, on arrive à cette conclusion que le gouvernement est actuellement sous le coup de 2 milliards 1/2 de créances, exigibles à chaque instant. À aucune époque, pareil spectacle n’a été offert par aucune nation : ni par l’Angleterre pendant son duel avec Napoléon, ni par les États-Unis aux prises avec la plus effroyable guerre civile. Cette perspective indéniable peut laisser indifférens les spéculateurs de la Bourse, qui vivent de paris sur la hausse ou la baisse des fonds publics, mais il n’est pas un homme politique prévoyant, pas un capitaliste sérieux qui ne doive s’en préoccuper. La preuve que cette impression est générale, et qu’elle a gagné même ceux qui affectent de croire à la solidité de nos finances, c’est que tout le monde s’en prend au budget extraordinaire comme à l’unique source du mal. Les conservateurs en ont toujours critiqué l’existence, le signalant comme un actif instrument de désorganisation financière : plus tard, des républicains comme M. Ribot et M. Germain, ont reconnu et fait ressortir les inconvéniens de cette institution dangereuse, et voici, maintenant, que le gouvernement lui-même paraît résolu à le supprimer.

Toutefois, cette réforme indispensable n’est pas encore accomplie : elle donnera lieu à de vifs débats lorsque la loi de finances de 1887 sera mise en discussion. L’institution du budget extraordinaire compte, en effet, dans les chambres des partisans convaincus et influens. MM. Dauphin et Millaud, rapporteurs habituels des lois de finances au sénat, en ont fait à diverses reprises de chaleureuses apologies ; dans les dernières discussions de la chambre, M. Wilson et M. Jules Roche en ont soutenu la nécessité avec une ardeur extrême ; M. Rouvier a paru se résigner avec peine à la suppression, et les députés qui comptent sur les faveurs gouvernementales pour conserver les sympathies des électeurs sont loin de souhaiter la disparition de cette corne d’abondance. Les défenseurs du budget extraordinaire prétendent, pour le justifier, s’autoriser de l’exemple de l’empire, mais ils font, les uns à dessein, les autres involontairement, une confusion qui ne peut tromper que les ignorans. Il n’y avait sous l’empire qu’un seul budget de recettes, qui faisait face à toutes les dépenses, de quelque nature qu’elles fussent, et qui constituait comme une sorte de forfait entre le parlement et le ministère. Lors de la préparation du budget des dépenses, le gouvernement rangeait dans une classe à part, en les qualifiant d’extraordinaires, les dépenses qui, n’étant pas obligatoires, étaient susceptibles de réduction ou d’ajournement : c’était aux dépens des crédits de cette catégorie que les ministres, au moyen de ces viremens, tant calomniés par M. Thiers, bien qu’ils fussent une importation anglaise, faisaient