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situation des créanciers des caisses d’épargne, ni atténué en quoi que ce soit les dangers résultant de l’exagération de la dette flottante.

Le ministre qui avait conçu l’idée de cette opération a dû éprouver un vif désappointement ; il avait évidemment compté que les rentes amortissables remises à la caisse des dépôts et consignations seraient graduellement absorbées par les demandes de titres des déposans, obligés de ramener leur livret au-dessous du maximum légal ; et le fait se serait peut-être produit si les obligations amortissables avaient pu se subdiviser en titres de 3, 6, 9 et 12 francs de rentes ; mais soit que le déboursé nécessaire pour l’acquisition d’une obligation ait paru trop considérable aux déposans, soit que ceux-ci se soient défiés d’une valeur avec laquelle ils n’étaient pas familiers, les demandes attendues ne se sont pas produites. Le milliard de rentes amortissables, mis en souscription publique, en 1881, n’avait pas conquis la faveur du monde financier; les 1,200 millions créés en vue des déposans des caisses d’épargne n’ont pas mieux réussi auprès de la clientèle spéciale à laquelle ils étaient destinés : la caisse des dépôts a dû les conserver. C’est un lourd fardeau à porter. Il ne faudrait pas croire, cependant, qu’il en résulte un grave péril, à moins d’une crise intense et d’une certaine durée. Si la caisse des dépôts, pour faire face aux demandes des déposans, était contrainte, quelque jour, de vendre une partie considérable des titres qu’elle détient, ces ventes entraîneraient assurément un bouleversement du marché des fonds publics ; mais tant qu’il s’agira seulement de conjurer les effets soit d’une crise passagère, soit d’une panique chez les déposans, la caisse des dépôts obtiendra aisément de la Banque de France contre nantissement de titres les fonds nécessaires pour les remboursemens. La Banque a un trop grand intérêt à la stabilité du marché pour ne pas se montrer libérale dans le chiffre de ses avances, et les caisses d’épargne n’auraient pas plus tôt remboursé à bureau ouvert 100 ou 150 millions, que les demandes s’arrêteraient d’elles-mêmes. Toutefois, la possibilité d’une commotion financière n’en subsiste pas moins, et un gouvernement prévoyant et sage ne se fût jamais hasardé à courir de tels risques.

Ce qui aggrave la faute, c’est qu’on a persévéré dans ces erremens dangereux. La pseudo-consolidation laissait encore subsister une dette flottante de près de 1 milliard ; et cette dette n’est pas demeurée stationnaire : les nouveaux dépôts des caisses d’épargne, les emprunts annuellement contractés sous toutes les formes pour le budget extraordinaire, les déficits budgétaires qui sont devenus chroniques ont rapidement ramené la dette flottante au-dessus de ce chiffre de 2 milliards 1/2, dont l’approche avait effrayé M. Léon Say. Si, d’une part, on y ajoute les 1,200 millions, représentés par des