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les emprunts. Contrairement à ce qu’on avait espéré au début, l’accroissement des recettes publiques, tout considérable qu’il fût, ne suivit point une marche aussi rapide que les emprunts ; et le résultat du programme dangereux par lequel on avait voulu séduire le corps électoral fut l’accroissement prodigieusement prompt de la dette flottante. C’est là le point délicat de notre situation financière : il ne faut pas en exagérer, mais il faut encore moins en dissimuler le caractère alarmant.

Avec notre organisation financière, qui donne prise à plus d’une critique, l’existence d’une dette flottante est inévitable. Le trésor, aux termes de lois impératives et à raison de la tutelle exercée par le ministère de l’intérieur, est tenu de recevoir dans les caisses publiques les fonds des départemens, des communes, des administrations hospitalières et autres êtres moraux. En outre, il exige et il reçoit des cautionnemens de tous les agens comptables, des officiers ministériels, et des entrepreneurs ou fournisseurs qui contractent avec l’état. Comme il sert pour tous ces fonds un intérêt déterminé par la loi, il ne peut les laisser inactifs et improductifs ; il les applique donc à des paiemens pour lesquels il serait obligé de se procurer de l’argent par voie d’emprunt. Le gouvernement, en effet, a besoin d’un fonds de roulement, absolument comme une grande maison de commerce ou d’industrie ; il a à payer, dès les mois de janvier et de février, des arrérages de rentes, des créances et des salaires à l’acquittement desquels les rentrées quotidiennes des impôts indirects ne suffiraient pas ; et c’est à peine s’il reçoit à la fin de mars les premiers versemens sur les contributions directes. Il applique à ces paiemens les fonds dont il est le détenteur obligatoire ainsi que ceux qu’il se procure par l’émission de bons du trésor, et ceux qu’il reçoit des déposans des caisses d’épargne. Non-seulement la dette flottante est inévitable, mais elle est destinée à s’accroître et elle s’est accrue effectivement avec la progression des encaissemens que le trésor opère pour le compte des départemens et des communes, soit que cette progression provienne du développement de leurs revenus propres, soit, ce qui est presque toujours le cas, de l’accroissement de leurs charges. Elle oscillait entre 150 et 200 millions sous la restauration ; elle était montée à 600 millions dans les dernières années de la monarchie de juillet : le chiffre le plus élevé qu’elle ait atteint sous l’empire a été 839 millions, chiffre de 1865, et l’on fit un emprunt pour la réduire. M. Thiers, quand il était dans l’opposition, avait l’habitude de déclarer qu’on ne pouvait sans déroger à la prudence la laisser monter au-dessus de 500 millions : que dirait-il aujourd’hui avec une moyenne voisine de 2 milliards ! Si on veut se tenir en dehors de toute exagération, ou reconnaîtra qu’avec un budget de 3 milliards