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encore, l’un et l’autre, un excédent de recettes d’environ 63 millions. Tels étaient les prodigieux résultats de la facilité vraiment extraordinaire avec laquelle la France portait le poids des taxes nouvelles dont on l’avait chargée, et de la prudence qui présidait encore à la direction de ses finances. Il ne semblait pas qu’on dût s’écarter de ces sages erremens. Sollicité de faire, dans le budget de 1878, une part plus large à des travaux que l’on se flattait de faire accepter plus facilement en les qualifiant de reproductifs, le ministre des finances, M. Léon Say, répondait à M. Lecesne, le 18 mars 1877 : « Nous ne pouvons pas perdre des milliards, sauf à les retrouver dans une augmentation de production de richesse... L’utilité de la dépense n’est pas la justification de la dépense, il faut encore y ajouter la nécessité. »

Comment une situation aussi florissante, aussi conforme à l’intérêt national, a-t-elle pris fin? et comment le ministre habile et avisé dont nous venons de reproduire les judicieuses paroles a-t-il lui-même, l’année suivante, porté la première atteinte à l’équilibre de nos finances ? M. Gambetta préparait alors sa propre dictature ; et il avait délégué M. de Freycinet à la présidence du conseil qu’il ne croyait pas devoir encore prendre pour lui-même. Il était imbu de l’idée que les travaux publics sont, pour un gouvernement, un puissant et sûr moyen de popularité : opinion fort accréditée chez certains hommes politiques à raison de l’influence attribuée à la loi par laquelle la chambre de 1832 mit à la disposition de M. Thiers, ministre de l’intérieur, 100 millions pour être employés en grands travaux. Bien que le sort de la monarchie de juillet et celui de l’empire, qui avait fait bien plus encore, eussent dû le détromper, il avait conçu la pensée de fonder et d’affermir la république au moyen d’un développement sans exemple des travaux publics. Il fallait frapper les imaginations, il fallait dépasser de beaucoup tout ce qu’avaient fait les régimes précédens : au moment propice, le futur dictateur recueillerait les bénéfices de la popularité dont il allait entourer les institutions nouvelles. Un soir de septembre 1878, pendant les vacances des chambres, M. Gambetta réunit chez lui M. de Freycinet et M. Léon Say : il les garda presque jusqu’au lever du jour, leur exposant sa pensée avec la chaleur, l’abondance et la faconde qui lui étaient habituelles. L’imagination inflammable de M. de Freycinet prit feu aisément : sur le matin, le scepticisme spirituel du ministre des finances céda devant l’irrésistible entraînement d’une conviction ardente. Dès le lendemain, les deux ministres partaient de compagnie pour les départemens du Nord, afin d’y porter l’évangile de la régénération de la France par les chemins de fer. Ce fut à Boulogne-sur-Mer, le 8 septembre, que M. de Freycinet exposa pour la première fois en public le plan célèbre dont il a si