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nombre de passages? A cette époque, on interprétait déjà dans un sens figuré les livres de la Bible ; l’amoureux et sa maîtresse sont appelés l’Esprit et l’Épouse dans les derniers versets de l’Apocalypse. D’ailleurs, la musique du Cantique, si amoureuse qu’elle soit, n’est nullement mystique ; elle est d’une pureté morale et d’une chasteté irréprochable. L’église en a tiré les morceaux qui ont pu lui convenir et les a intercalés dans sa liturgie. Du reste, les offices où ils se trouvent sont toujours en l’honneur de femmes, de la Vierge, de Madeleine, d’Agathe, d’Agnès. Les offices en l’honneur du Christ et des saints ont été composés avec d’autres matériaux.

La musique de l’Apocalypse est religieuse au premier chef ; elle fait, avec celle du Cantique, un contraste saisissant. La vision de la Jérusalem céleste et les chœurs des anges y sont rendus avec une sublimité d’inspiration tout à fait digne de l’art antique. Cette œuvre peut appartenir à la seconde moitié du Ier siècle, l’Apocalypse étant elle-même de l’année 68 ou 69.

Si l’attention du lecteur était infatigable, je lui signalerais aussi l’époque douloureuse de la semaine sainte, où sont les chants les plus antiques et les plus expressifs de l’année ; l’office des morts, véritable drame en trois actes, où l’expression musicale va se modifiant par degrés et aboutit à la marche triomphale In paradisum, citée tout à l’heure. Mais il faut finir. Je terminerai cet exposé par quelques mots sur l’office des petits enfans. Quand un d’eux est pris par la mort, les parens chrétiens ne pleurent pas, sinon de tendresse ; ces petits morts sont « des prémices offertes à Dieu et à l’Agneau ; ils paraissent sans tache devant le trône de Dieu.» l’église leur consacre des chants d’allégresse ou d’une mélancolie charmante. Un jour, en Espagne, une personne de qui je tiens le fait vit, traversant la campagne, une troupe de femmes en habits de fête ; elles marchaient gaîment et chantaient un air joyeux ; une d’elles portait une corbeille de fleurs : au milieu des fleurs était le corps d’un petit enfant ; elles allaient l’enterrer. L’église chante toute l’année des Alléluia ; elle les supprime dans les jours de tristesse, mais elle en chante deux aux funérailles des petits enfans. L’Alléluia fut, dit-on, chanté pour la première fois à celles de Fabiola : c’était une dame de la haute société romaine, mariée, divorcée, puis revenue à son premier mari après la mort du second. Blâmée par l’église, elle fit une pénitence publique en grande pompe, vécut ensuite dans la piété et mourut saintement. Les Alléluia chantés à ses funérailles sont probablement ceux qui ont été maintenus à l’office des petits enfans. Il y en a deux : l’un a pour verset Lœtaberis; l’autre, Laudate pueri Dominum. On les trouvera dans notre volume. Ils ont une nuance fort orientale, ressemblent à des chansons populaires de l’Asie et sont d’une exquise suavité.