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donné, les paroles sont le point de départ de la restitution du chant, de même aussi le rapprochement des paroles peut conduire à la reconstruction d’anciennes œuvres musicales de plus longue haleine. On aura donc un grand intérêt à savoir de quels textes de la Bible les paroles des antiennes ont été tirées. Ce travail, qui paraît énorme, n’est pas très long, parce qu’il existe des ouvrages appelés concordances, où il se trouve tout préparé. On remarquera d’abord que, dans les offices, les antiennes vont le plus souvent cinq par cinq; chacune est suivie d’un psaume. Les psaumes supprimés, les cinq antiennes, ou du moins les trois ou quatre premières, se suivent et forment un groupe. D’ordinaire elles sont écrites dans des modes différens ; si on les chantait l’une après l’autre, on produirait une véritable antiphonie, c’est-à-dire une alternance de voix. Il n’est pas improbable que les antiennes d’aujourd’hui, petits textes qui passent inaperçus, sont des débris d’anciennes compositions musicales chantées à deux chœurs alternés. Si cette induction se vérifiait, elle aurait pour l’histoire de l’art une haute portée; car le rapprochement des antiennes, dont les textes se suivent et dont les modes musicaux alternent, nous rendrait un certain nombre de grandes œuvres musicales des premiers temps chrétiens. Elle expliquerait aussi pourquoi ces petites formules qui précèdent les psaumes portent le nom d’antiennes, quoiqu’elles soient isolées et qu’elles ne se chantent pas en antiphonie

L’induction acquiert la plus grande probabilité pour deux au moins de ces compositions primitives : l’Apocalypse et le Cantique des cantiques. Un grand nombre de versets de ces deux livres sont dispersés dans les offices. L’Apocalypse m’en a fourni quatre-vingt-trois. Du Cantique j’ai recueilli cinquante-cinq morceaux; la plupart sont des antiennes, d’autres sont devenus des offertoires, des graduels ou d’autres pièces fleuries d’où l’on peut éliminer les fioritures. On sait, en outre, que cette petite œuvre de poésie sémitique nous est parvenue fort en désordre et que les versets en sont comme jetés pêle-mêle. Le musicien qui en fit les mélodies sur la traduction italique paraît y avoir rétabli un certain ordre, ordre arbitraire peut-être, mais qu’on peut retrouver en s’aidant à la fois de la suite des idées et de la suite naturelle des mélodies. Quoi qu’il en soit, les mélodies du Cantique sont un beau et curieux spécimen de la musique profane au commencement de notre ère. Elles n’ont aucun caractère religieux ; ce sont des soli et des dialogues entre des personnages purement humains, dont les deux principaux sont simplement deux amoureux. Rien n’indique que cette composition musicale ait été faite pour l’église, ni même par un chrétien. Comment donc l’église lui a-t-elle emprunté un si grand