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pièces plus ou moins fleuries à partir de saint Grégoire, mais seulement que la masse de ces airs est antérieure à ce pontife.

Une autre conséquence non moins importante pour l’histoire de l’art se déduit de ce qui précède. Si les airs fleuris sont en général des antiennes ornées de mélismes, il n’est plus impossible de savoir à quelle époque l’usage des fioritures s’est introduit dans l’église latine. En effet, nous savons que les églises d’Orient les ont employées dès l’origine. Il nous en reste un exemple remarquable dans le Trisagion, chant fort ancien extrait du livre d’Enoch et qui se dit chaque année en grec le vendredi saint ; ce morceau est rempli de notes d’agrément, devenues notes de mesure dans sa traduction latine que l’on chante aussitôt après. Autre exemple, le chant de l’église grecque qui passe pour le plus ancien est le Φῶς ἱλαρόν ; ce morceau est une suite non interrompue de mélismes. Lors donc que saint Augustin nous dit que son maître et ami saint Ambroise introduisit à Milan la manière de chanter des Orientaux, cela fait allusion à la musique fleurie usitée chez ces derniers, et nous devons considérer l’introduction de ce genre de musique comme la principale partie de la réforme ambrosienne. C’est, en effet, à partir de cette époque, l’église étant libre depuis l’année 324, que l’on voit s’organiser les offices avec grand appareil de décors et d’exécutions musicales. C’est alors aussi que se produisirent en grand nombre les introïts, les offertoires, les graduels et tous ces airs fleuris où se déployait le talent des chantres officiels. Alors, enfin, et du fait de saint Ambroise, s’introduisirent les hymnes, c’est-à-dire des imitations, peut-être même des reproductions de mélodies païennes.

On sait que les virtuoses du chœur ne tardèrent pas à abuser de leur talent et que l’église se changeait peu à peu en une salle de concert et en un théâtre. C’est cet abus que le pape Gélase essaya de corriger ; on ne dit pas quel fut le succès de ses efforts. La décadence romaine, l’invasion des barbares, la chute de Rome et la disparition rapide de la langue latine firent plus que les décrets pontificaux pour réprimer les excès en musique. C’est, au contraire, pour sauver, conserver et ranimer le chant ecclésiastique, en même temps que pour le régulariser, qu’à la fin du vie siècle saint Grégoire opéra sa grande réforme.


V.

Une fois reconstitués avec leur rythme et classés au moins approximativement selon l’ordre des années, les chants liturgiques peuvent être étudiés en eux-mêmes, au point de vue de l’art. Cet