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Tel est l’état où les mélodies dites grégoriennes nous sont parvenues : toutes les notes se ressemblent sur les portées ; elles ont toutes, sauf quelques brèves, la même durée dans l’exécution. Le problème à résoudre se posait avec la plus grande netteté : « Est-il possible de découvrir sous cette écriture uniforme les mesures et les rythmes des anciennes mélodies chrétiennes ? » Les uns répondaient non; c’étaient les paresseux, les indifférens ou les désespérés. Les autres répondaient oui et tentaient même des restitutions, mais toujours selon leur goût personnel, leurs habitudes ou leur imagination, c’est-à-dire au hasard. Il y a quelques années, une commission nommée par les archevêques de Reims et de Cambrai fut chargée de résoudre le problème au moyen des anciens manuscrits ; elle ne put remonter au-delà du XIIIe siècle; toutefois cette méthode historique lui permit de rétablir les rythmes tels qu’on les comprenait à cette époque. Elle sentit que ces résultats étaient insuffisans et souvent contestables ; d’elle-même, elle appela des recherches complémentaires et plus décisives. Je vais donc exposer aux lecteurs de la Revue la méthode naturelle, exempte de fantaisie, la seule qui conduise sûrement à la solution du problème. Cette méthode est celle qu’on emploie dans toute recherche scientifique: c’est l’analyse.

Un chant d’église se compose de deux élémens, les paroles et la musique. Ces deux élémens sont parallèles ; ils commencent ensemble, finissent ensemble et doivent marcher d’accord pendant toute leur durée. Quand un désaccord se produit entre l’air et les paroles, il porte le nom grec de cacophonie. Leur accord constant et les règles qui y président constituent la prosodie ; ce mot, également grec, signifie l’application réciproque du chant et des paroles. Le chant nous est donné intégralement par les rituels, mais sans autre indication certaine que la gravité ou l’acuité des notes. C’est déjà beaucoup, puisque nous possédons ainsi toutes les notes de l’air; mais nous ne pouvons déterminer les mesures entre lesquelles ces notes étaient réparties que par l’étude prosodique des paroles. C’est donc les paroles qui doivent servir de point de départ pour la découverte des rythmes, qui nécessairement s’accordaient avec elles.

Or la langue latine fait partie de la classe des langues chantantes. Les mots français ont toujours l’accent sur la dernière syllabe ou sur l’avant-dernière quand la dernière est muette ; en latin il n’y a pas de syllabes muettes : l’accent a une place différente d’un mot à un autre, mais constante sur un mot donné. Ainsi l’accent est sur o dans populus, dominus; sur l’e du milieu dans pavere, etc. Il n’est presque jamais sur la dernière syllabe. Comment connaissons-nous l’accent des mots latins? Par les grammairiens,