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vocales chantaient à l’unisson ou à l’octave. Le chant des derviches, dans les Reines d’Athènes, de Beethoven, prouve qu’avec l’unisson la mélodie chorale peut obtenir de puissans effets. Du reste, on n’était pas pour cela condamné à la monotonie ; le chant pouvait sauter d’un mode à un autre, passer du diatonique au chromatique dans chacun de ces modes et produire ainsi les contrastes les plus variés et les plus saisissans. Le chant était soutenu par l’orgue aux mille tuyaux, dont une turbine mettait en mouvement la soufflerie. Voyez la différence des Aryas et des Sémites : un bon musulman se croirait déshonoré s’il chantait ou dansait ; il se plaît au chant et à la danse, mais il a des almées pour cet usage ; à Rome, les plus grandes familles pratiquaient la musique, plusieurs empereurs tinrent à honneur de chanter en public, de paraître sur la scène et de concourir avec des chanteurs de profession. Voilà comment les modes populaires du monde gréco-romain engendrèrent un art musical qui devint un des plus grands besoins d’une société très civilisée, art différent du nôtre, mais qui ne lui était peut-être pas inférieur.


III.

Cette riche floraison de la musique gréco-romaine a-t-elle disparu avec l’empire ? n’a-t-elle laissé aucune trace ? L’Europe est-elle simplement retombée dans la barbarie, attendant qu’un monde nouveau se formât au milieu d’elle ? Entre la chute de l’empire et les commencemens de la musique moderne, l’Europe occidentale est-elle restée muette ou n’a-t-elle eu que des cantilènes barbares apportées par les Goths, les Lombards, les Francs et les autres envahisseurs ? Posons la question d’une autre manière. Y a-t-il dans l’histoire un exemple d’un peuple civilisé subjugué par un peuple barbare et qui se soit totalement anéanti sous le poids de ce dernier ? Horace avait dit : « La Grèce captive captura son sauvage vainqueur, » Les lois romaines ont été accueillies par les barbares ; les lettres et les arts de Rome les ont peu à peu civilisés. Enfin, ces barbares se sont faits chrétiens. La solution de notre problème est dans ce dernier mot. Pendant que la société païenne de Rome se donnait des représentations scéniques et des concerts, les chrétiens chantaient dans les catacombes. Nous savons ce qu’ils chantaient : c’étaient des passages de l’ancien et du Nouveau-Testament tirés d’une Bible en latin connue sous le nom de traduction italique de la Bible. C’étaient aussi des prières d’origine essénienne et de courts récits en l’honneur des martyrs.

Par les auteurs chrétiens des premiers temps et par le témoignage