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général, l’idée que nous donne le gros fermier de plusieurs sociétés modernes. Il ne ressemble pas à cet homme qui met en valeur des terres de 20, 50, 100 hectares et plus, qui a sous lui un nombreux personnel, qui possède quelques capitaux, qui est aisé et quelquefois riche. Ce gros fermier ne se voit jamais dans ce que nous savons de la société romaine[1]. S’il a existé, il n’a certainement été qu’une exception. L’inscription de Véléia mentionne plusieurs fois des lots de fermiers, qu’elle appelle coloniœ ; ces lots sont bien modestes, car tel domaine avec les huit coloniœ qui en dépendent, n’est évalué en tout que 120,000 sesterces; on peut admettre qu’il y a de 60 à 80 arpens pour l’ensemble et 5 ou 6 pour chaque lot de fermier; c’est à peine la culture d’un seul homme, à peine de quoi nourrir une famille.

Le fermier romain était donc, d’ordinaire, un très chétif cultivateur. Il occupait, non un domaine, mais une parcelle d’un domaine, et il le cultivait de ses bras. Par le peu d’étendue de son lot, il ressemblait plutôt à nos petits métayers qu’à nos fermiers. Fort supérieur à l’esclave par ses droits ou politiques ou civils, il se rapprochait de lui par sa pauvreté. Il y a là des faits et des situations qu’un observateur ne doit pas négliger. On sait en effet qu’à partir du IVe siècle, peut-être même dès le IIIe, le colon n’est plus un homme tout à fait libre; il ne peut plus quitter la terre qu’il occupe, il ne peut pas renoncer à la cultiver. Il est intéressant de noter qu’au temps où il avait été libre, il n’avait pas occupé plus de terre qu’il n’en occupera le jour où il aura cessé de l’être. Le fermier libre et le colon ont donc pu se succéder sur la même parcelle de terrain. Nous montrerons plus loin les circonstances qui ont changé le premier en colon ; qu’il suffise de noter ici que le lot de terre n’a pas changé. La tenure du fermier libre a pu devenir naturellement la tenure du colon.


FUSTEL DE COULANGES.

  1. On en trouve seulement sur les grands domaines du fisc impérial; ici, il n’est plus appelé colonus, mais conductor, et il est moins un cultivateur qu’un spéculateur. Les inscriptions du IVe siècle signalent aussi quelques grands fermiers, conductores; mais sous eux existe déjà le colonat.