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celle qui a des fermiers de père en fils, des fermiers qui y sont nés et qui y sont comme chez eux. » Il nous semble que de ces paroles de Columelle quelques traits caractéristiques se dégagent. Il en ressort au moins que le prix principal est en argent, qu’il s’y ajoute quelques prestations en nature, peut-être quelques corvées, et qu’enfin, bien que les baux soient à court terme, il est assez ordinaire que les mêmes fermiers restent longtemps et que le fils succède au père. L’intérêt bien compris, sans aucune loi, suffit à les retenir.

Pline le jeune, dans ses lettres, par le plus d’une fois de ses fermiers. Un jour, il écrit à l’empereur et lui demande un congé d’un mois pour aller renouveler les baux sur ses domaines de la Cisalpine. Ses fermiers sollicitent des remises d’arriéré, ce qui marque bien qu’il ne s’agit pas d’un métayage à part de fruits, mais d’un véritable fermage en argent. Si nous regardons les jurisconsultes du IIe et du IIIe siècle, nous y trouvons encore les fermiers. Nous devons même noter que ces fermiers sont désignés proprement dans la langue par le terme coloni ; et cela depuis Varron jusqu’à Ulpien. Ce nom s’applique toujours à des hommes libres qui ont contracté une location temporaire et qui en paient un prix en argent. La loi romaine est, par un côté, assez dure au fermier; elle veut que tout ce qu’il possède, tout ce qu’il apporte avec lui sur la culture, et ses outils eux-mêmes, soient le gage du propriétaire ; mais en même temps les jurisconsultes recommandent d’user d’indulgence, et ils font presque une obligation d’accorder des dégrèvemens de fermage et des remises d’arriéré pour peu que la récolte ait été mauvaise.

Il y a, en effet, dans ce fermage romain un point qui est bien digne d’attention. Ces fermiers que nous voyons dans les deux premiers siècles de l’empire, si nous jugeons d’eux d’après ce qu’en disent les jurisconsultes, sont toujours de très petits fermiers. Horace en compte cinq sur son domaine, qui n’est certes pas bien grand, et dont ils occupent à peine la moitié. Relisez ce que Columelle dit de ces hommes, et vous remarquerez qu’il ne lui vient même pas à l’esprit qu’un seul fermier ait pris un domaine entier ; ils sont toujours plusieurs à se partager un fonds de terre. Columelle les place même à côté des esclaves, comme s’il n’y avait pas, à part la dignité d’homme libre, une très grande différence entre les uns et les autres. Les fermiers de Pline sont aussi de fort petites gens, toujours endettés et besogneux. il parle de fermiers à qui le propriétaire a infligé la saisie des gages, et plusieurs fois; aussi sont-ils dans une extrême misère; ils sont même incapables de cultiver, n’ayant plus ni outils ni animaux. Il ne faut donc pas nous faire du fermier romain, en