Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 77.djvu/351

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du grain ; ils prennent soin d’une vigne et ils ont une part de la vendange. Ce n’est là ni le louage de la terre, ni même le métayage ; c’est simplement un travail à façon payé par une part du produit. Cependant le louage de la terre commence à poindre ; les Grecs l’avaient connu et pratiqué. Il est difficile de dire si les Romains le leur empruntèrent, comme tant d’autres choses, ou s’ils y arrivèrent d’eux-mêmes par une marche assez lente de leur esprit. De ces deux conjectures nous inclinons vers la seconde ; on doit noter, en effet, dans leur louage cette marque bien essentiellement romaine : il se produisit d’abord par un détour et par une sorte de fiction légale. Il se présenta, au début, sous la forme d’une vente. Il fut la vente par l’un, l’achat par l’autre, des produits du sol ; vente et achat faits à l’avance et pour un certain nombre d’années. C’est pour cette raison sans doute que le jurisconsulte Gaius déclare « que la location se rapproche beaucoup de la vente et est soumise aux mêmes règles. » La langue latine porta, d’ailleurs, longtemps la trace de cette primitive conception du louage. Elle l’appelait vente, venditio, et cela était attesté par les formules des baux faits par les censeurs ; le preneur à loyer s’appela longtemps un acheteur, emptor ou redemptor ; et ce terme se rencontre, avec ce sens, dans plusieurs inscriptions. L’idée qui s’attacha d’abord au louage fut donc celle d’une vente, non du fonds, mais des produits, non pour toujours, mais pour un temps. Enfin parut le véritable louage avec son nom spécial : locatio conductio. L’époque est impossible à préciser. On voit cette location très nettement indiquée dans plusieurs lois du dernier siècle de la république. Cicéron en parle comme d’une pratique ordinaire et bien connue qu’il n’a pas besoin de décrire. Varron la signale aussi, en passant, comme chose usuelle. Il cite les contrats de louage, qu’il appelle leges coloniœ, et se contente de rappeler quelques clauses qu’on avait l’habitude d’y insérer.

Ce qui caractérisait le louage et le distinguait des pratiques antérieures, c’est qu’il était un contrat formel, régulier, garanti par le droit. Il était même un contrat bilatéral, et il obligeait également les deux parties. Le propriétaire s’engageait à assurer la jouissance de son bien ; le preneur s’engageait à payer le prix annuel de cette jouissance et à ne pas détériorer le fonds. À ces clauses essentielles les deux parties pouvaient ajouter toutes les clauses qu’il leur plaisait. La durée de ce contrat formé entre deux particuliers était toujours temporaire. Le terme auquel chaque partie devait reprendre sa liberté était ordinairement marqué dans l’acte. Les jurisconsultes mentionnent toujours des baux de cinq ans et nous voyons aussi dans les lettres de Pline que c’était pour cinq ans qu’il louait ses terres. Cela ne prouve pas qu’il n’y eût jamais, de baux plus longs ;