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des Syagrius, des Paulinus, des Ecdicius, des Ferréolus en Gaule. Il est digne d’attention que les immenses fortunes du IVe siècle n’aient rien changé à l’étendue désormais fixée du domaine rural.

Ici se pose une question : à côté du domaine le village existait-il, et quel était le rapport entre eux? Les hommes de nos jours sont accoutumés à voir le sol des campagnes réparti en villages et non pas en domaines ; ce que nous appelons un village est une agglomération d’une cinquantaine ou d’une centaine de familles qui sont propriétaires du sol ; et elles forment entre elles un groupe administratif, une commune rurale, dans laquelle les diverses propriétés sont comprises et fondues. En était-il de même à l’époque où se place notre présente étude? Une des propensions les plus dangereuses des historiens modernes est de transporter dans le passé les faits et les idées auxquels le présent a habitué leur esprit. On se représente donc involontairement cette époque lointaine à l’image du temps actuel. On a même quelque peine à supposer que le pays ait pu n’être pas partagé en villages comme il l’est aujourd’hui. Il faut pourtant examiner ce problème avec une pleine indépendance d’esprit.

Observons d’abord si les Romains se faisaient la même idée que nous du village. Sur ce point, la langue latine, que la Gaule parlait comme l’Italie au temps de l’empire, fournit un renseignement qui n’est pas à négliger. On y peut remarquer qu’elle ne contient pas un seul terme qui réponde exactement à l’idée que le mot village représente aujourd’hui. Le terme pagus désignait une circonscription rurale, une région plus ou moins étendue, ce que nos paysans appellent encore aujourd’hui un pays, mais il ne s’appliquait pas proprement à un corps d’habitations tels que sont nos villages ; c’est ce que montrent très bien les centaines d’exemples où nous le trouvons employé. Le terme vicus, à l’opposé, contenait en soi l’idée de constructions agglomérées, mais non pas spécialement celle d’habitations rurales ; car il s’appliquait tout autant à un quartier d’une ville, à une rue, à un carrefour. Il pouvait sans doute se dire d’un village, mais son sens propre et intrinsèque n’était pas celui de village. Quant au terme villa, il ne désignait jamais un village, mais toujours un domaine. Il est singulier que la langue latine, qui possédait plusieurs termes pour rendre avec précision l’idée de domaine, n’en ait possédé aucun qui exprimât nettement celle de village. Cela étonnera moins si l’on songe que, même en français, le mot village, avec la signification qui s’y attache aujourd’hui, ne date que de quatre ou cinq siècles. Il y a eu, on le devine bien, de très graves raisons pour que le langage humain se passât si longtemps de ce terme ou de tout autre terme équivalent.

Le village ne fut jamais dans l’antiquité romaine un groupement