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dans les mœurs mêmes des Gaulois et par leur propre volonté. Nous savons, en effet, que les chefs des plus riches et des plus grandes familles sollicitèrent et obtinrent le titre de citoyen romain. S’ils jugeaient ce titre si enviable, c’était visiblement parce qu’il donnait à la fois plus de dignité à leur personne et plus de valeur à leurs terres, et la raison de cela s’aperçoit aisément. Mais aussi ce titre imposait à ceux qui l’obtenaient l’obligation de suivre désormais le droit romain. Il fallait donc renoncer à l’ancien droit du clan. Dès lors, la vieille règle de l’indivisibilité du domaine fut laissée de côté. La terre se partagea. Elle changea de mains, on la vendit, on la légua. Elle entra en circulation, et, à chaque mouvement, elle se morcela. Les anciens latifundia gaulois disparurent donc, non par une transformation violente, mais par l’action insensible des nouvelles mœurs et des nouveaux intérêts. De là cette conséquence : les domaines ruraux que nous trouverons en Gaule au commencement du moyen âge De seront plus les anciens domaines des dans gaulois. Ils en seront issus peut-être, pour une grande partie, mais après les modifications et les morcellemens que l’usage du droit romain y aura introduits. Ils ressembleront assez exactement aux domaines ruraux de l’Italie. Comparez le fundus des chartes de Ravenne et des lettres de Grégoire le Grand, au fundus ou à la villa des chartes mérovingiennes; les différences ne sont pas appréciables. Il n’est pas jusqu’aux noms qui ne soient de même nature. Les domaines gaulois ne portent plus ni noms qui rappellent les clans, ni noms géographiques, sauf de très rares exceptions ; ils portent presque tous, conformément à l’usage romain, des noms de propriétaires.

Dans la Gaule romaine comme en Italie, les domaines avaient une étendue fort inégale. Il y en eut sans nul doute de très petits, bien qu’il ne semble pas que la population libre ait jamais été assez nombreuse dans les campagnes pour qu’un régime de petite propriété ait pu prévaloir. Cette petite propriété n’occupa donc qu’une faible partie du sol gaulois ; la moyenne et la grande propriété en couvrirent la plus grande partie. Sur ce point, d’ailleurs, les documens précis nous manquent. Tacite parle des villœ du Gaulois Civilis, de la villa de Cruptorix, mais il n’en dit pas l’étendue. Il nous faut arriver jusqu’à Ausone pour avoir une description quelque peu nette d’un domaine gaulois. Ausone possède une propriété patrimoniale dans le pays de Bazas. Elle est à ses yeux fort petite ; il l’appelle une villula, un herediolum, et il faut « toute la modestie de ses goûts » pour qu’il s’en contente. Encore voyons-nous qu’il y compte 200 arpens de terre en labour, 100 arpens de vigne, 50 de prés et 700 de bois. Voilà donc un domaine de 1,050 arpens qui est