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auxquels César donne le nom de « chevaliers, » étaient moins des chefs de famille que de très riches propriétaires fonciers. Chacun d’eux vivait entouré d’une troupe nombreuse de serviteurs, presque de vassaux, qu’il ne pouvait visiblement nourrir qu’avec les fruits de terres immenses. Voyez ces personnages dont César trace le portrait : Orgétorix possède 10,000 serfs ; Indutiomare peut lever une petite armée parmi ses hommes ; Ambiorix, dans sa vaste demeure entourée de forêts, a assez de serviteurs et de commensaux pour arrêter un moment la cavalerie romaine ; l’Aquitain Litavic est entouré d’un nombreux groupe de cliens ; l’Arverne Vercingétorix, tout jeune encore et inconnu, possède assez de cliens et de serviteurs sur ses terres pour s’en faire une armée; c’est avec ses paysans qu’il s’empare de la ville de Gergovie et se fait roi. De tels faits donnent une idée du régime de grande propriété que César trouva établi en Gaule.

La conquête romaine ne le transforma pas brusquement. Rome n’enleva pas aux Gaulois leurs terres. S’il y eut des confiscations, elles furent peu nombreuses. Plusieurs causes toutefois modifièrent insensiblement l’état du sol. D’abord, si les Romains ne s’emparèrent pas des terres en vertu du droit du vainqueur, ils en achetèrent beaucoup. On sait bien que leur habitude, après chaque conquête, était de spéculer en grand sur les terres mêmes qu’ils laissaient aux vaincus. En acheter leur était facile, puisqu’ils avaient beaucoup de capitaux et que les Gaulois en avaient peu. Leurs jurisconsultes proclamaient, d’ailleurs, qu’en droit tout le sol provincial appartenait à l’état romain ; c’était assez pour qu’en fait ils pussent mettre la main sur tout ce qu’ils voulaient et au prix qu’ils voulaient. Ce n’était pas, d’ailleurs, pour s’y établir ; car on n’a connaissance d’aucune famille italienne qui se soit établie à demeure dans ce qu’on appelait les trois Gaules ; mais il n’est guère douteux, étant donné l’esprit des sociétés financières romaines, qu’il ne se soit fait un grand mouvement d’affaires sur les immeubles et qu’une notable partie du sol gaulois n’ait pris une nouvelle forme. Les dettes municipales, contractées surtout pour payer les impôts aux procurateurs impériaux, paraissent avoir été l’un des principaux moyens dont usa la spéculation romaine. Plus tard, le clergé druidique disparut, et l’on aperçoit aisément qu’une grande quantité de terres fut alors sécularisée. Ajoutons que quelques colonies furent fondées, les unes au profit de légionnaires de l’empire, les autres au profit de Germains admis à titre de sujets; ces colonies, d’ailleurs peu nombreuses, furent certainement des territoires de petite propriété. Ce qui eut des conséquences plus graves encore, ce fut le changement qui s’opéra