Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 77.djvu/330

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lois ; mais ils faisaient partie de la coutume rurale et de la langue vulgaire. On les trouve dans les lettres de Symmaque ; on les retrouvera dans les chartes et les actes de location du vie siècle[1]. Or, ces chartes et ces baux reproduisent manifestement les formules d’une pratique plus ancienne et toute romaine. Sur les registres du cadastre, il est probable que chaque domaine était inscrit comme une unité, avec son nom, et les noms des propriétaires qui se le partageaient. Quelques érudits ont pensé que c’est ce cadastre qui aurait fixé pour toujours l’unité et le nom du domaine. Nous ne partageons pas cette opinion. L’opération du cadastre et la confection des registres de l’impôt étaient assez fréquemment renouvelées pour qu’on eût pu changer le nom des terres à chaque partage de succession. Le cadastre et le registre de l’impôt n’ont ici que l’importance d’une cause seconde. Au fond, la persistance du nom et de l’unité du domaine tenait à tout l’ensemble des habitudes et des mœurs rurales.

On s’est demandé si ces « portions » étaient réelles ou fictives ; dans le premier cas, les copropriétaires auraient eu chacun leur morceau de terre distinct et séparé ; dans le second, le sol restant matériellement indivis, ils s’en seraient partagé les revenus. À ce problème il faut se garder de donner une solution trop absolue. Les deux procédés furent pratiqués. Le premier paraît avoir été d’un usage plus fréquent; mais le second ne fut pas inconnu. Il y a des chartes qui semblent bien impliquer l’existence de domaines occupés en commun et sans partage effectif par trois ou quatre co-propriétaires[2]. Remarquons toutefois que, même en ce cas, chacun d’eux exerçait un plein droit de propriété. Il pouvait léguer et vendre librement sa portion. Il n’y eut jamais d’indivision légale.


II. — L’ETENDUE DU DOMAINE.

Nous voudrions savoir quelle était l’étendue ordinaire et moyenne d’un domaine rural. Cela revient à nous demander si c’était la petite ou la grande propriété qui régnait. Il y a sur ce sujet quelques citations qui sont toujours répétées; nous commencerons par les

  1. Voyez Marini, Papiri diplomatici, et Fantuzzi, Monumenti Ravennati. Les portiones et les unciœ y sont sans cesse mentionnées. Dans les chartes écrites en Gaule, je ne trouve pas les unciœ, mais les portiones y sont fréquentes.
  2. Ces hommes étaient dits consortes entre eux. Ce terme, dans lequel il n’existait aucune idée de tirage au sort, venait simplement de ce que, depuis plusieurs siècles, le mot sors signifiait une propriété. Les consortes étaient donc ceux qui se partageaient un domaine. Il se formait entre eux un lien que l’on appelait consortium et qui constituait une réciprocité de droits et d’obligations. Il serait trop long d’en parler ici; nous nous réservons de traiter ailleurs ce point délicat.